Ce premier « extrait » est en fait le texte intégral du début de ce nouveau voyage. C’est une bonne description des préparatifs et de l’équipage de la frégate
Rade de Brest le 25 Septembre 1864
Hier matin à 6 heures on nous a mis en rade, la Direction du port nous avait envoyé 300 hommes à 8 heures nous étions amarrés sur un corps mort. Les dernières journées passées dans l’arsenal ont été très fatigantes ; le Commandant nous honorant de sa confiance s’était fié à nous pour activer l’embarquement des vivres, du matériel, du chargement et en deux jours nous avons transporté à bord plus de mille tonneaux de toutes espèces. Nous sommes arrivés en rade dans le plus grand désordre, la batterie, le faux pont, le pont des gaillards encombrés de caisses barriques, filins voiles, vergues ; on travaille à loger toutes ces choses, ce sera difficile et nous partirons bien chargés.
Le jour de notre sortie du port, j’ai eu de l’ouvrage par-dessus les yeux ; on m’a envoyé prendre des ballots que nous y avions laissés dans un chaland ; depuis cinq heures du matin jusqu’à trois heures de l’après-midi j’ai couru ou je suis resté sur mes jambes sans une bouchée de pain à me mettre sous la dent. Le soir je pus seulement faire ma malle, j’ai embarqué toutes mes affaires aujourd’hui. J’ai du mal à me refaire à la petitesse de mon ancien logement, d’autant plus qu’il vient d’être peint et qu’il contient des provisions de gamelle, ce qui en rend le séjour presqu’insupportable.
28 Septembre
Enfin nous commençons à nous reconnaître à bord ; les barils, les colis de chargement, le filin s’arriment ; hier pour la première fois on a pu laver les ponts ; nos matelots ont eu aussi un moment pour se laver, ce qui n’a pas été un luxe. Nous attendons que le Général Inspecteur ait passé en revue nos trois compagnies, immédiatement après elles embarqueront, puis nous prendrons 22 émigrants que l’« Eurydice »[1] est allée prendre à Lorient et nous partirons. Tout cela nous mènera à la fin de cette semaine et peut-être au commencement de l’autre.
On n’a pas le temps de flâner avec le nouveau commandant ; nous faisons les corvées d’embarcation, nous observons pour régler les montres, nous calculons ; nous montons dans les hunes lorsqu’on manœuvre ; nos journées sont bien occupées et ce n’est pas un mal ; on s’endort avec une certaine satisfaction qui vous donne un sommeil tranquille. Le travail m’a aidé beaucoup à me refaire à la petitesse de mon logement à bord, je viens de passer une bonne nuit ; elle n’a pas ressemblé à la première, je m’étais réveillé malade et plus fatigué qu’avant de me coucher.
Je suis encore attaché à l’officier des montres, il me paraît assez gentil, mais je regretterai Mr. Richy [2]. Cette fois le Commandant lui-même observe, le second est, dit-on, très fort aussi ; on fera de nous des observateurs et des calculateurs distingués ;Ces messieurs annoncent l’intention de s’occuper beaucoup de nous ;jusqu’à présent nous n’avons eu qu’à nous louer d’eux, ils ont de petites attentions auxquelles nous ne pouvons qu’être sensibles ; ainsi on va nous établir un bastingage particulier où on logera nos hamacs dans la journée, nous n’aurons plus à craindre d’attraper la vermine s’il y en a à bord. On nous a cédé pour mettre nos provisions de grands caissons situés dans les dépendances du logement du Commandant, le père Pouget gardait tout et ne cédait rien.
Notre gamelle sera cette fois beaucoup mieux administrée ; nous avons acheté de bonnes provisions, l’agréable a été sacrifié à l’utile ; nous n’avons pris ni vins ni liqueurs, le chef de gamelle a préféré faire emplette de quelques sacs de pommes de terre de plus ; je crois que nous serons beaucoup mieux que pendant la dernière campagne ; nos passagers seront cette fois moins malheureux aussi ; ils ne souffriront pas de l’imprévoyance du chef de gamelle. On nous en annonce quatre, nous sommes six ce qui ferait dix personnes mâles et femelles.
29 Septembre
Voici quelles sont mes fonctions à bord ; je suis second de quart de Mr. Jonquières [3], Enseigne de vaisseau de la promotion de Mr. Pottier [4] ; c’est un homme assez aimable et complaisant ; il a eu la bonté de m’offrir sa chambre pour y travailler ou y loger ce que mes armoires ne pourraient contenir. Il est chargé des montres et comme tel je suis encore son second ; cette fois le Commandant lui-même fait des observations et des calculs, il a même l’intention d’en faire faire à tous ceux qui en sont capables ; il est très habile et veut qu’on arrive à sa force. Bien que les montres soient dans ses appartements, il autorise quiconque a le désir de travailler à entrer chez lui à n’importe quelle heure.
Je suis chef de la hune de misaine, c’est-à-dire que lorsqu’on manœuvre c’est là mon poste ; j’ai à veiller pendant les manœuvres si les gabiers travaillent bien, si on fait les choses telles qu’on les doit faire, je transmets aux maîtres qui sont au pied du mât sur le pont les ordres à y exécuter pour mener à bonnes fins les diverses opérations qui se font dans la mâture. Enfin je suis chargé de l’entretien de deux embarcations, de leur matériel, leur état de propreté etc.
Aujourd’hui nous avons embarqué 17 gendarmes coloniaux, ils viennent d’arriver au corps et portent encore les uniformes de leurs anciens régiments, il y en a de toutes espèces, cuirassiers de la Garde, artilleurs, dragons, lanciers etc. tous beaux militaires de bonne mine. Je crois qu’on les envoie en Nouvelle-Calédonie. Nous avons reçu aussi six sœurs, on leur avait préparé un logement dans la batterie ; elles sont pour Bourbon, quand elles auront déménagé, le chirurgien-major a l’intention de demander leur local pour nous, il mettra en avant une raison d’hygiène (et il n’a pas tort) et tâchera de substituer un poste aéré et éclairci par deux sabords à notre bouge puant et obscur ; comme le Commandant est un bon homme qui aime bien voir tout le monde content, nous avons beaucoup d’espoir.
L’« Eurydice » est partie de Lorient, mais comme elle est à voiles et qu’elle a vent debout pour rentrer à Brest, elle n’arrivera peut-être pas avant quelques jours. On nous a prévenus de l’arrivée d’une dépêche télégraphique annonçant son appareillage.
Madame Bremeau a eu l’amabilité de me faire recommander à notre chirurgien-major ; il est venu à moi aujourd’hui et m’a offert ses services ; Dieu veuille que je n’aie pas besoin de ceux du chirurgien, j’accepterai avec plaisir ceux de l’homme, il a l’air très gentil. L’État- major est assez bien composé, mais je ne trouverai pas le pendant de Mr. Pottier et de plusieurs autres personnes de la campagne dernière, les nouveaux officiers sont en général plus froids et peut-être plus pincés que les anciens ; tous sont à bord sur leur demande ou au choix du Commandant, il en est de même pour les aspirants ; personne n’aura donc la permission de se plaindre, c’est une cause de moins d’ennui. Ils ont une multitude de passagers, outre les sœurs, ils ont quatre curés, les officiers des compagnies d’infanterie de marine et quelques autres personnes parmi lesquelles un lieutenant de vaisseau qui va prendre le commandement du « Lynx »[5] et quatre enseignes auxiliaires, ils sont trente-trois à table. Ils ont fait des achats énormes, si dans les colonies on ne leur donne pas autant de passagers qu’ils en amènent, ils feront de très grandes pertes.
Nous sommes bien contents de nos hommes, ils sont tous travailleurs et jusqu’à présent laissent croire qu’ils seront faciles à conduire et obéissants. Ce sont pour la plupart des Bretons, ils n’ont pas beaucoup d’apparence mais ils sont durs à la fatigue et robustes. Le nouveau commandant en second les ménage tant qu’il peut ; il leur évite les corvées et peines inutiles et on a l’intention de modifier un peu notre gréement de façon à pouvoir faire les quarts de nuit avec le tiers seulement de l’équipage au lieu de la moitié. Nous avons embarqué cinq mousses provenant du vaisseau-école [6] ; ils en sortent instruits dans leur métier et un peu habitués déjà à supporter les fatigues. Je ne sais pas encore qui sera chargé de leur éducation, je crois que c’est une corvée qui ne me déplairait pas ; mais comme on peut se tromper quand on n’a pas fait une chose, je ne la demanderai pas, je ne voudrais pas avoir le regret de m’être mis dans le pétrin par ma faute.
[1] L’« Eurydice » est une corvette de 28 canons (1849-1877).
[2] Adolphe Charles Richy (1836-1886) – Chevalier de la Légion d’Honneur le 13 août 1864.
[3] Elzéar Paul Fauque de Jonquières (1838-1900) EN 1855. Enseigne de vaisseau le 2 septembre 1861. Lieutenant de vaisseau le 29 décembre 1866. Capitaine de vaisseau le 26 avril 1892. Versé dans le cadre de réserve le 17 avril 1898, port Toulon.
[4] Édouard Pottier (1839-1903) devient vice-amiral en 1898, Grand-croix de la Légion d’Honneur.
[5] Petit aviso à hélice (1862-1866) que nous avons déjà croisé lors du précédent voyage. Il sera désarmé le 21 juin 1866.
[6] Il s’agit probablement de l’« Inflexible » vaisseau de 90 canons école des Mousses de 1861 à 1876. Lancé le 21 novembre 1839, construit à Rochefort il portait 90 canons. Désarmé en septembre 1856 il remplaça la « Thétis ».
Introduction au 2e voyage de Charles Antoine 2e extrait du 2e voyage
Bonjour,
J’ai mis l’extrait tel que je l’ai reçu en corrigeant toutefois les rares fautes de grammaire et d’orthographe qui pouvaient être dues à une mauvaise lecture du manuscrit de Charles Antoine. L’on voit sur le titre copié tel quel que l’écriture de Ce dernier n’est ps toujours bien lisible.
Vous avez raison pour « Monsieur », mais peut-être la règle n’était pas ainsi du temps de Charles Antoine et je n’ai pas toujours corrigé.
De même pour « la Sibylle » entre guillemets…
Mais vous faites bien de le faire remarquer.
Anne-Geneviève Martin
Tien, c’est curieux…
Je croyais qu’il ne fallait pas mettre les noms de bâtiments entre guillemets ?
De même, je croyais que Mr = Mister et qu’en France il fallait mettre M. pour Monsieur.