L’histoire se passe au début des années 1970.
Nous avions envisagé de faire un autre voyage au pays voisin de Djibouti. C’est par la route que nous avons entrepris notre deuxième voyage au pays de Hailé Sélassié, le roi des rois. Des possibilités d’hébergement dans la région de Harare (petite ville où résidait Rimbaud) nous étaient offertes, dans des chalets appartenant à l’armée Française. Cette opportunité nous incita à prendre quelques jours de vacances et nous décidâmes, avec un couple d’amis de nous y rendre. Finalement, les épouses avec les enfants s’y rendraient en avion jusqu’à Diredawa, puis bus ou taxi pour Harare ; quant à mon ami et moi nous les rejoindrions par la route partant de Djibouti. Pour assurer le trajet de Djibouti à Diredawa, 10 heures de conduite sont nécessaires, le parcours dans le territoire TFAI [1] est facile route asphaltée, puis c’est un désert de sel jusqu’à la frontière de l’Éthiopie. Mais en territoire éthiopien, c’est une autre paire de manches. Piste défoncée, parfois inexistante, villages plus ou moins abandonnés, et la savane parcourue par toutes sortes d’animaux, c’est ainsi que nous avons pu faire la course avec quelques autruches, bref c’était l’aventure. Diredawa atteint, rejoindre Harare fut ensuite très rapide.
Nous avons donc passé quelques jours dans la région de Harare où nous avons pu voir de magnifiques paysages, une campagne verte, des cultures abondantes et des villages assez primitifs, mais une population qui n’avait pas l’air de souffrir trop de la férule du roi des rois (le bienheureux socialisme à la soviétique a totalement détruit cet équilibre par la suite).
Il nous restait tout de même un problème à régler : le retour vers Djibouti ! Originellement nous espérions pouvoir revenir tous ensemble en voiture, mais compte tenu des difficultés rencontrées à l’aller il était évident que l’on ne pouvait pas les faire supporter à nos enfants? Que faire? Mon ami, qui était directeur d’une banque à Djibouti, avait un de ses excellents clients qui était le directeur du CFE (Chemin de fer Franco-Éthiopien), il se proposa d’aller voir le chef de gare de Diredawa pour essayer de trouver une solution de retour par train. Aussitôt dit et fait, nous voici donc en route pour la gare de Diredawa. La rencontre fut de courte durée, il semblait que cela ne poserait aucun problème : un wagon de passagers serait ajouté au train de marchandises qui quittait Diredawa le soir pour Djibouti. La voiture serait amarrée sur un wagon de marchandises. Ravis mais étonnés tout de même de cette solution si rapidement trouvée, nous sommes repartis en ville pour faire quelques emplettes avant de rentrer chez nous, le départ étant fixé à 19h00.
À 18h30 nous nous présentons à la gare pour être sûrs de ne pas rater le train, nous constatons que la voiture est bien sur un wagon et nous sommes invités à embarquer dans le wagon de passagers qui avait été rajouté. Il s’agissait d’un wagon à impériales datant sans doute des années 20/25, nous nous dirigeons donc vers ce wagon et sommes surpris de voir 2 contrôleurs en uniformes impeccables, munis tous les deux d’une sacoche en bandoulière, assez lourde, et qui s’installent chacun sur une impériale après avoir verrouillé nos portes de compartiment. Étonnés de cette façon de faire, nous nous abstenons néanmoins de toute réflexion et attendons un peu anxieux le moment fatidique du départ. Nous avions tout de même remarqué un grand nombre de gens qui apparemment semblaient désœuvrés, mais quelle ne fut pas notre surprise lorsque l’ordre du départ fut donné, de voir tout ces gens se précipiter sur le train pour essayer d’y grimper, en particulier sur notre wagon et là, nous avons compris la raison des sacoches : elles étaient pleines de cailloux qui servaient à nos courageux contrôleurs pour dissuader les resquilleurs qui, sous une pluie de cailloux, se repliaient sur le quai ! C’était totalement irréel mais en même temps pathétique de voir ces volontaires au passage clandestin chassés à coup de pierres …
Depuis, les choses ont bien changé; le CFE (Chemin de fer Franco Éthiopien) n’existe plus, la gare à Djibouti a disparu, les Chinois se sont appropriés les lieux qu’ils ont transformé en zone industrielle, faisant de Djibouti une tête de pont pour approvisionner leur « colonie éthiopienne, » qui elle, sert de tête de pont pour coloniser l’Afrique …
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[1] Territoire Français des Afars et des Issas, devenu indépendant en 1977. La capitale en est Djibouti.
Nota (agm) : La corne de l’Afrique comporte l’Éthiopie, la Somalie, l’Érythrée et Djibouti (par ordre décroissant de population, l’Éthiopie comportant près de 85% du total)). Ces territoires ont été et sont toujours le siège de nombreuses rivalités politiques, religieuses et économiques, y compris internes comme en Éthiopie actuellement où se rebelle le Tigré. A la guerre s’ajoutent les catastrophes naturelles, inondations et sécheresses notamment (Source Wikipedia)