Bruno Voituriez
océanographie, direction de recherches, réflexions sur les hommes et la planète
(par Yves Dandonneau)
Chimiste, ingénieur de l’École Nationale Supérieure des Industries Chimiques de Nancy, Bruno Voituriez a fait son service militaire à bord du dragueur de mines « Croix du Sud » dans les Antilles, de 1962 à 1964. Se sentait il déjà attiré par l’océanographie lors de sa formation ? En tout cas, cette navigation dans les eaux tropicales lui a beaucoup plu, et à son retour, il a choisi de suivre le Diplôme d’Etudes Approfondies d’océanographie de l’Université de Paris, puis est entré comme océanographe à l’Office de la Recherche Scientifique et Technique Outre-Mer. Ses premières campagnes océanographiques lui ont fait parcourir l’Océan Pacifique Tropical et ses îles à bord du N. O. Coriolis, le navire de L’ORSTOM. Il aimait déjà la mer, et de tels débuts l’ont conforté dans son choix. Il possédait aussi un don précieux : contrairement à la plupart des océanographes, et à beaucoup de marins, il ne connaissait pas le mal de mer ! On m’a dit qu’au cours des 60 jours de la campagne Alizé II de Panama à Nouméa en 1991, il a écrit un ouvrage de 127 pages, « Les climats de la Terre » publié chez Presses Pocket.
L’océanographie à l’ORSTOM était guidée par l’exploitation des ressources de la pêche au large : dans quelles régions et comment les courants marins portaient à la lumière les sels nutritifs indispensables à la croissance du plancton. Étaient ciblés les upwellings de Mauritanie et de Benguela, la divergence équatoriale, et les fronts océaniques. En mesurant la concentration de l’eau de mer en phosphates, nitrates et nitrites, Bruno y a occupé une position centrale entre les physiciens qui étudiaient les courants et les biologistes le plancton. Après des débuts dans le Pacifique à partir de Nouméa, puis dans l’Atlantique tropical à partir d’Abidjan, ces programmes se sont étoffés et ont culminé en 1978 avec CIPREA, (Circulation et production à l’équateur dans l’Atlantique), conduit à partir de Dakar, à bord du N. O. Capricorne. Bruno a alors été un très efficace chef d’équipe, rigoureux dans ses analyses, stimulant les réflexions de ses collègues, et organisant l’exploitation des résultats. Les principaux travaux ont débouché sur une thèse d’Etat, qu’il a rédigée avec deux autres collègues, Alain Herbland (production primaire et bactérienne) et Robert Le Borgne (zooplancton et production secondaire), thèse pluridisciplinaire, première du genre en océanographie, soutenue en octobre 1983 à la Station Marine d’Endoume, devant un jury, lui aussi pluridisciplinaire. Il fut assurément le moteur de ce travail d’équipe. Ont précédé puis accompagné ce travail de thèse 18 publications dans des revues internationales, qui décrivent comment, d’une part, les courants marins, variables, et d’autre part divers aspects des écosystèmes tropicaux (maximum subsuperficiel d’oxygène, de salinité, profondeur de la thermocline) déterminent la production planctonique dans les océans tropicaux.
Après cette période au cours de laquelle Bruno a été un océanographe très présent sur le terrain, « aux pieds mouillés » comme on dit, par opposition avec les océanographes de bureau, il a rejoint l’IFREMER où il a été Directeur du Département de la Recherche Océanique, responsable des programmes de recherche d’océanographie physique et spatiale, puis Directeur « d’objectif » Biosphère/Géosphère, de 1982 à 1992.
De retour à l’ORSTOM en 1992, il y occupe la position de Directeur Délégué du Département Terre-Océan-Atmosphère puis, en 1994, il est, de 1994 à 1998, Directeur de la Stratégie et de la Programmation. De 1999 à 2002 (l’ORSTOM est alors devenu IRD), il a été Directeur du Centre de Recherche Halieutique Méditerranéenne et Tropicale de Sète (laboratoire Ifremer-IRD de l’Université Montpellier II).
Tous ces postes à responsabilités lui ont valu de participer à de nombreux comités scientifiques :
– Coordinateur de la contribution française aux programmes internationaux TOGA de 1987 à 1992 (Tropical Ocean and Global Atmosphere) et WOCE (World Ocean Circulation Experiment) de 1990 à 1992 , ces deux important programmes étant les éléments océaniques du Programme Mondial de Recherche sur le Climat.
– Représentant de l’Ifremer puis de l’IRD au comité exécutif PIGB (Programme International Géosphère Biosphère), puis membre du comité scientifique Français de ce programme.
– Président du Comité National Français pour la Commission Océanographique Intergouvernementale de l’Unesco (COI) (1992-1997).
– Membre du Comité des Programmes d’Observation de la Terre du Centre National d’Etudes Spatiales (1990-1994).
– Membre de 1988 à 1992 du Conseil Supérieur de la Météorologie et du Comité Scientifique de Météo-France (1988-1992).
Et puis, il atteint l’âge de la retraite. Va-t-il rester inactif ? Non, car d’autres, dans le même cas que lui, ne le supportent pas non plus. Ils fondent en 2003 le Club des Argonautes, dont il est aussitôt président. Il le restera jusqu’en 2019. En 2009 ; il est élu à l’Académie de marine, comme membre de la section Navigation et Océanologie. Il y sera élu secrétaire de cette section en 2011, puis président de 2015 à 2021. Il présidera aussi l’Association des Anciens de l’ORSTOM/IRD.
Toujours très impliqué dans la diffusion des connaissances scientifiques vers le grand public, il est l’auteur de plusieurs ouvrages. Citons « El Niño : réalité et fiction », un sujet qui l’a passionné, co-écrit avec Guy Jacques ; « Les humeurs de l’océan : effets sur le climat et les ressources vivantes » ; « Changement climatique : histoire et enjeux » avec Jacques Merle et moi même ; et, enfin, publié par l’UNESCO, et qui sera une source d’inspiration pour Erik Orsenna, « Le Gulf Stream ».
Au Club des Argonautes, composé de météorologues, d’océanographes, d’hydrologues, et où il retrouve Jacques Merle, son ami depuis leurs débuts à Nouméa, on discute beaucoup, de climat, d’océan, d’énergie, d’eau. Bruno y montre alors une érudition et un intérêt étonnamment vastes pour les grands questionnements qui concernent l’univers, l’espèce humaine et son devenir, l’histoire de la science. Les textes qu’il publie sur le site web du club sont aussi inattendus que variés : « Comment la marée a-t-elle été perçue et étudiée au cours du temps », « Théologie et atmosphère », « Le mariage de l’océan et de l’espace », « Géonautique : apprendre à piloter la Terre ». Dans les échanges de messages que nous avions, je tombe sur ces mots qu’il a écrits ; « J’ai le sentiment de n’ avoir plus rien à dire sur ce sujet (i. e. le changement climatique) sinon poser l’ultime question de Koestler: l’ homme est -il un coup raté de l’évolution? On peut répondre comme le compatriote de JM (Jacques Merle), Teilhard de Chardin: le but c’est la Noosphère accomplissement final de la cosmogénèse dans la Christogénèse…..
Car pour se fixer normes et contraintes il faut bien croire que l’Humanité a un objectif ……sinon à quoi bon puisque comme toutes celles qui l’ont précédée l’espèce humaine est appelée à disparaître…..
En attendant gloire au Soleil Invaincu dont c’est la fête dans quelques jours! Buvez de bons coups pour le remercier de faire mûrir les vignes ».
Et il aurait conclu par une de ces locutions en latin dont il était friand.