Début d’incendie à l’assistance thonière (2) – par Loïc Antoine

Le tout récent naufrage du Grande America me rappelle un épisode de l’assistance thonière il y a déjà 47 ans…

Nous voici de nouveau à l’assistance thonière, cette fois-ci l’été 1972 à bord de l’Ellé, cargo frigorifique qui transportait le thon congelé des côtes d’Afrique à Concarneau. Nous revenons d’une campagne d’une vingtaine de jours au nord des Açores et venons de traverser le rail cap Finisterre-Ouessant pour faire route terre vers Lorient. Nous avons bien vu un cargo chypriote dont la cheminée fumait un peu trop, mais personne ne s’en fait. Nous pensons tous à l’arrivée à terre et au plaisir de retrouver nos proches. Tout d’un coup le radio1 reçoit un « maiday » en provenance d’un cargo disant en anglais qu’il y a le feu à bord. Tout de suite, le capitaine fait demi-tour et nous retournons vers le rail. Le soir tombe, la mer est belle et le couvert mis pour le dîner mais nous nous retrouvons sur les ailerons de la passerelle, regardant vers l’ouest pour apercevoir une éventuelle fumée dans le coucher du soleil.

La nuit est presque tombée quand un cargo appelle sur 2182 kHz2 pour dire que son équipage a recueilli une chaloupe avec le capitaine du cargo en feu et une partie de son équipage, mais que trois personnes manquent, dont le chef mécanicien. Nous sommes équipés de matériel de plongée pour le cas habituel où des lignes se prennent dans les hélices de thoniers. Aussi trois d’entre nous enfilent la combinaison de plongée, le bosco met le Zodiac à l’eau puis, munis de torches électriques, le médecin de l’assistance, Gilbert3 et moi le rejoignons dans le Zodiac et filons vers les abords du cargo, en panne et fumant encore bien noir… Le commandant du navire en feu avait dit au capitaine qui l’avait recueilli que son navire transportait différents produits chimiques dont du nitrate d’ammonium, et que lorsque l’incendie avait été détecté l’évacuation s’était faite en toute hâte, sans bon ordre ni regroupement, ce qui expliquait l’absence de trois personnes de l’équipage.

Le souvenir de l’explosion du Liberty ship en 1947 à Brest, qui transportait le même produit chimique et qui avait détruit ce qui restait des ruines de la ville après les bombardements de 1944 était encore présent dans la mémoire des plus anciens, et sans doute le risque encouru était connu du capitaine et de son équipage. Ceci expliquait l’évacuation en panique du navire. En attendant, nous sommes à bord du Zodiac, parcourant dans la nuit maintenant tombée la mer de nos lampes torche, stoppant régulièrement le moteur de manière à entendre d’éventuels appels. La recherche se poursuit jusqu’à l’aube, et nous rentrons hélas bredouilles à bord de l’Ellé.

Assistance thonière sur le vif

Approche d’un thonier avec le Zodiac de l’assistance thonière – 1972 -Dessin Loïc Antoine

Nous prenons tous les quatre une douche et puis allons essayer de prendre un peu de repos, avec l’idée sinistre d’être passé à côté d’un naufragé sans l’avoir entendu… Pendant ce temps le capitaine de l’Ellé poursuit sa recherche, et quand nous nous levons nous apprenons ce que nous redoutions tous : trois cadavres ont été retrouvés, dont le chef mécanicien, en slip, et reconnaissable à ses lunettes comme nous l’avait précisé par radio le capitaine du navire en feu. Le fait qu’il soit en slip confirme que la panique l’avait pris, sans doute dans sa couchette et pendant son sommeil. Il avait sauté à l’eau sans même passer une brassière de sauvetage. Les trois corps sont descendus dans la chambre froide pour leur identification ultérieure à Lorient, et le capitaine peut reprendre la route vers Lorient et dormir un peu.

Midi approche, la noirceur de cet épisode tragique doit être surmontée. Le second nous propose un apéritif roboratif, comme on n’en prend que sur les bateaux, du moins à cette époque. Nous voilà tous bien réconfortés, nous allons pouvoir passer à table. Le déjeuner a été préparé tout spécialement pour relever le moral des troupes par Fanch, le cuisinier, qui nous précise le dessert : ce sera une omelette norvégienne, qu’il apportera lui-même de la cuisine, toute flambante comme il se doit pour une omelette norvégienne. Le moment du dessert venu Fanch, qui a peut-être un peu chargé à l’apéritif, et trompé par un coup de roulis (c’est sa version) fait tomber l’omelette et son rhum enflammé dans sa cuisine… déclenchant un début d’incendie, encore un ! Le lieutenant, qui n’a rien bu et qui seul parmi nous tous a l’esprit bien clair se saisit de l’extincteur et asperge l’omelette de neige carbonique, tuant définitivement le dessert et toute envie de le consommer. Nous devons nous contenter de yaourts et d’un café.

C’eût été désastreux de mettre le feu au bateau après la nuit sinistre que nous venons de passer !

Quant à l’épave du cargo, elle est remorquée jusqu’à Brest par le remorqueur allemand Pacific, qui réussit à maîtriser l’incendie et à stabiliser la cargaison au plan chimique. Quelques jours plus tard, je vois sur les quais de Brest l’équipage du Pacific charger des caisses de champagne, sans doute parce que la prise de l’épave a été dûment récompensée… mais au prix de trois vies !

Presque cinquante ans plus tard, je me dis que nous aurions pu entendre un appel sur l’eau et sauver une vie, si ce n’est les trois, et j’en frissonne encore.

1 À cette époque la présence d’un officier radio était nécessaire, à la grande pêche comme au commerce.<(br/>2 La fréquence internationale de détresse. <(br/>3 Gilbert Vergonzane, plongeur et scientifique qui travailla quelques temps au CNEXO.

Le premier épisode de l’assistance thonière a été publié en 2015 – Lire

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1 réponse à Début d’incendie à l’assistance thonière (2) – par Loïc Antoine

  1. Michel Joanny dit :

    Hello Anne-Geneviève,

    Comme tu as rendu à César ce qui a été dessiné par César, tu pourrais aussi rendre à César(e) les photos de haut de page qui ont été prise par César(e), avec une petite légende peut-être ?
    Bees
    Michel J

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