Journal d’un aspirant de marine engagé autour du monde sur une frégate, au XIXe siècle – Épisode 3

Lorient le 13 mars 1863.

Dans les lettres du 13 au 16 mars 1863, Charles Antoine décrit quelques péripéties de la vie à bord en attendant le temps favorable pour appareiller. Notamment l’escapade de quelques zéphyrs (soldat appartenant à l’infanterie légère d’Afrique; bataillonnaire)  désireux de faire la fête avant le départ, escapade qui se termine par les fers pour quelques récalcitrants. Une fête s’organise également avec l’aide de certains passagers artistes…

Dans les textes qui suivent, certains passages moins significatifs seront remplacés par *…*

20 mars 6 h1/2 du matin.

                                             Par :     Latitude = 42°54 N         Longitude = 14°19 O

Nous sommes en mer depuis mardi 17. Un ordre écrit du préfet maritime de Lorient nous a fait partir ; tout le monde était à bord, les dispositions d’appareillage prises nous avons filé notre corps mort, établi nos voiles et le pilote de Lorient nous a conduit hors des passes. Cette fois le vent était favorable, toutes voiles dehors gonflées par une jolie brise de Nord, la frégate filait six nœuds, peu à peu la terre de France disparut ; à six heures du soir on ne la voyait plus. La mer était belle, tout le monde était à peu près content, quelques uns faisaient triste figure, la plupart de nos passagères semblaient regretter amèrement la France que quelques uns ne reverront plus. Pour mon compte j ‘étais assez gai, quitter la France quand je suis loin de vous m’est peu pénible ; que nous soyons à cinq cent lieues, à cinq mille lieues ne sommes nous pas séparés dans un cas comme dans l’autre.

Le mal de mer ne se fit pas trop sentir ce premier jour, pour mon compte je n’ai pas trop à m’en plaindre quand nous prenons la mer. J’éprouve bien un certain malaise mais je résiste et mon mal est très supportable. Je ne me plains donc pas surtout quand je vois nos passagères couchées sur des bancs sur le pont complètement anéanties. Ces pauvres femmes sont bien à plaindre, elles commencent cependant à s’aguerrir.

J’avais le quart de minuit à 4, quand je suis arrivé sur le pont, il faisait calme, nos voiles battaient le long du mât, la frégate roulait assez modérément, le temps était beau. Vers 2 h la brise au lieu de souffler du N se mit à tourner et à 2 h 1/2 elle soufflait du sud-ouest ; elle fraîchit peu à peu et à 4 h quand je quittai le quart elle soufflait déjà avec force. Dans la matinée elle fit ? indéchiffrable  et changea encore brusquement pour passer au nord-ouest ; c’était un vent favorable mais nous dansions d’une jolie façon ; vous ne vous faites pas une idée exacte du tapage que faisait le vent dans notre mâture ; les lames venaient se briser sur notre avant et de temps en temps retombaient en grosse pluie sur le pont ; heureusement l’arrière était préservé on pouvait s’y promener au sec.

Début du voyage - Mars 1863

Début du voyage de la Sibylle – vers Canaries et Cap Vert – fin mars 1863

*…* une écoute de hunier se rompit, c’était au moment où le navire fatiguait le plus, nous avions des coups de tangage fréquents et violents, immédiatement six ou sept hommes montèrent, vous les auriez vus au bout de la vergue de misaine travaillant tranquillement à réparer l’avarie, puis descendre et venir sur le pont chercher ou attendre un autre travail. Quelle différence avec les zéphyrs que nous avons à bord, ceux-ci travaillent par boutade, quand ils sont incités, ils enlèvent tout ; les matelots travaillent plus également, on reconnaît en eux des hommes patients, habitués à souffrir.

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6 réponses à Journal d’un aspirant de marine engagé autour du monde sur une frégate, au XIXe siècle – Épisode 3

  1. Martin Anne-Geneviève dit :

    Pas de souci…
    Ce journal est en fait une affaire de famille.
    Je sais que la transcription informatique est due à Christophe Antoine, mais je réalise que celui-ci n’est cité que dans l’introduction du second voyage.
    Pour les fautes d’orthographe, il se peut que quelques-unes nous aient échappé à Loïc et moi tout au long des 32 épisodes.
    Je vous contacte par mail, pour améliorer les références familiales.
    Anne-Geneviève

  2. agm dit :

    Merci pour le regard pointu. J’ai corrigé le vent et les lieues, mais pour les quelques uns, je n’ai pas vu de s manquant.
    Je pense que votre cousin a fait un gros travail de transcription du manuscrit du journal de bord sur ordinateur. J’espère que vous trouvez plaisir à le lire ici.
    Cordialement,
    Anne-Geneviève

    • CARRIERE Jean dit :

      Madame,
      Cette transcription n’est pas de mon cousin Loïc Antoine mais de mon autre cousin germain le Contre-amiral Christophe Antoine. La plupart des notes de bas de page ont été rédigées par mes soins ainsi que l’apport des photos de bateaux qui égaillent ce récit du 1er voyage de mon arrière-grand-père. Mais comme Loïc m’avait dit que pour publier il fallait respecter certaines règles orthographiques et que j’ai vu que celles-ci n’étaient pas « raccords » sur ces pages, mon sang n’a fait qu’un tour ! Eh hop, j’ai mis mon précédent commentaire… 🙂
      J’espère ne pas vous avoir froissée.
      Amitiés Marines à tous et toutes.
      Jean

  3. CARRIERE Jean dit :

    Dommage que pour la recopie l’orthographe parfaite de Charles Antoine n’aie pas suivi…
    Il écrivait : quelques-uns et non pas quelques un et sud-ouest et non pas sud ouest…
    il a écrit : cinq mille lieues et non pas cinq milles lieues…

    Charles Antoine était aussi mon arrière-grand-père maternel

    Amitiés Marines.
    Jean

  4. Daniel Latrouite dit :

    Où est-elle la Sibylle, où est-il Charles ANTOINE ? Le 10 novembre ils étaient en rade de Brest, le 17 à Lorient, le 24 sous bon vent vers les Canaries et aujourd’hui (2 décembre) j’espérais de leurs nouvelles mais rien, le site est muet à leur sujet ! Qu’on ne me dise pas « c’est la faute du radio du bord », je vous rappelle que ça se passe en 1863 !!! Ce n’est pas tous les jours qu’on accède à un tel récit documenté et passionnant alors s’il vous plait ne me laissez pas languir trop longtemps, je veux connaître la suite du « feuilleton » …
    En tout cas merci à Loïc de nous faire profiter de cette archive familiale.

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