FLEXOTIR : une source sismique historique
La « naissance » de la sismique profonde marine : à la recherche des bassins sédimentaires profonds
Reportons-nous dans les années 1960, et la « révolution » de la découverte géologiques des fonds océaniques.
Le développement technologique des outils de recherche et les applications pétrolières ou minières potentielles en milieu marin, ont permis et favorisé cette révolution, laquelle a également participé à la théorie de la « tectonique des plaques » et à une compréhension globale du fonctionnement de la Terre.
Les échosondeurs permettant de définir la profondeur sous le navire deviennent plus performants, et les premières cartes générales des fonds océaniques sont publiées avec un volet interprétatif dominant (cartes de Bruce Heezen). Au fur et à mesure de l’acquisition des données ces « zones blanches océaniques » se dévoilent.
Pour en savoir plus sur la nature du sol et du sous-sol océanique, il fallait utiliser des charges de dynamite dont l’explosion induisait un signal puissant qui pénétrait dans le sol océanique et dont les échos réfléchis ou réfractés étaient enregistrés, et permettaient l’étude des épaisseurs sédimentaires. Cette méthode était ponctuelle, lourde et délicate.
D’autres sources sismiques virent alors le jour en ces années 1960.
- Les « sparkers » produisaient une décharge électrique dans l’eau et donc un bon signal acoustique.
- Les « air gun » ou canon à air, induisaient un signal par décompression brutale d’un volume d’air comprimé.
Ces outils avaient l’avantage de pouvoir être utilisés en continu à la traîne, derrière un navire en route, et donc d’obtenir une « coupe » continue du sous-sol marin. La pénétration dans les couches sédimentaires était cependant modeste de l’ordre du kilomètre.
Les Compagnies pétrolières et l’Institut Français du Pétrole, à la recherche de bassins sédimentaires épais donc potentiellement productifs, avaient mis au point un outil mixte (explosif et signal électrique) le « flexotir » qui permettait de pénétrer dans ces grands bassins sur plusieurs kilomètres d’épaisseur.
C’est ainsi que pour la première campagne scientifique du COB naissant, en 1969, dénommée « Noratlante », dirigée par Xavier Le Pichon et Lucien Laubier, nous avons pu utiliser ce système industriel à des fins de recherche scientifique, sur le navire océanographique « Jean Charcot ». C’était une première mondiale dans le domaine scientifique.
Durant trois mois, de Brest à Terre Neuve en longeant le Groenland et la mer du Labrador, puis sur le retour vers les Açores, le Portugal et le Golfe de Gascogne, tous les transits furent valorisés par ces profils sismiques sur des milliers de kilomètres. Quotidiennement des stations de prélèvements biologiques sur le fond et d’analyse d’eau de mer étaient réalisées.
Le « flexotir » a laissé un souvenir ému aux divers participants (géologues mais aussi biologistes, physiciens qui étaient également utilisés pour sa mise en oeuvre). Il était constitué d’une énorme sphère en acier, de plusieurs centaines de kilos, percée d’orifices. Cette sphère était fixée à un tuyau de caoutchouc souple et épais qui portait un câble électrique transmettant le signal d’explosion dans la sphère. L’autre extrémité du tuyau, à la proue du navire, était fixée à une pompe à eau sous pression. Elle permettait de fermer la circulation de l’eau de mer pour introduire la charge explosive. En rouvrant la pompe, la charge était entraînée dans la sphère et un signal électrique la faisait exploser. Pendant Noratlante, nous étions assis au grand vent, à l’arrière du Charcot.
Pour le fonctionnement la sphère était mise à l’eau. Le serveur du « flexotir » actionnait une pompe qui ouvrait le tuyau. Il glissait une charge d’explosif dans le tuyau et refermait. L’eau sous pression poussait alors la charge dans la sphère, et ensuite un signal électrique faisait exploser la charge. Pour réaliser des profils continus une explosion avait lieu toutes les 30 secondes.
Quelques détails sont à signaler pour comprendre le plaisir ressenti durant 3 mois !!
A bord, nous avions plusieurs tonnes d’explosifs. Pour préparer les charges il fallait prendre un cylindre de dynamite de 50 g, insérer dans cet explosif un détonateur avec ses deux fils de cuivre, et enfin glisser la charge dans un tube plastique creux en forme de cierge. Donc une personne préparait les charges dans le laboratoire du bord et les disposait dans une caisse de transport. Il fallait approvisionner la personne qui armait le « flexotir » dans sa cage perchée à l’arrière du bateau.
Imaginez la scène en mer du Labrador par 8 mètres de creux, le pont arrière balayé et le livreur de cierges tentant de ravitailler le serveur couvert d’écume !
Je me souviens de Jean-Marie Auzende qui avait embarqué avec sa brosse à dents comme bagage et qui chargeait le « flexotir » au Groenland les pieds à l’aise dans ses tongues !
Lorsque la mer était belle, certains « bestiologues » se sentaient peu impliqués et s’ennuyaient ferme dans leur cage. Ils sortaient un bouquin, mais parfois ne sachant plus si la charge avait explosé ou non, ils ouvraient la pompe à contre –temps et recevaient un jet d’eau sous pression qui les ramenaient vite à la réalité, salués par les rires et les hourras des collègues.
Avec ces regards sur un passé de 45 ans, se manifestent les bons moments et les gags !
Cependant l’utilisation de ces explosifs par des personnes peu expertes, ni impliquées dans l’opération, par des temps épouvantables en Atlantique nord, avec l’utilisation d’un matériel lourd et délicat à manier sur le pont lorsque la charge n’avait pas explosé, tout cela laisse un goût de pionnier et d’aventure mais merci à notre bonne étoile !
Merci à Guy pour cet article fort intéressant. Peut-être se souvient-il de la disparition du Compass-Rose, ancien dragueur de mine puis ferry en mer Baltique, affrété par CGG (je crois) pour faire de la sismique en mer du Nord. J’avais un collègue à bord, Bernard Sper, qui avait participé à nos campagne libyennes au service de Kadhafi en 1974. Le Compass-Rose a disparu corps et bien en 1975 en mer du Nord, sans doute suite à l’explosion de la dynamite qu’il contenait pour cette campagne. Notre collègue n’a jamais été retrouvé.
Quant à Jean-Marie Auzende, je l’ai vu à Sapporo en février 1999 où il accompagnait comme moi Pierre David pour une tournée japonaise : il était encore en tongs, dans la neige, et arrivait de Nouméa. On ne le change décidément pas !