Épisode 2/2 – L’engagement dans la lutte contre la pollution
Avec ma formation d’ingénieur, on m’a d’emblée confié la tâche de visiter les chantiers de nettoyage qui se mettaient progressivement en place afin d’y porter un regard critique, tant sur plan opérationnel qu’au niveau de l’efficacité, en fonction de la morphologie de la côte. J’ai ainsi arpenté tout le secteur de côte qui m’avait été « attribué », soit globalement tout le littoral du Trégor ! Vaste mission devant un trait de côte particulièrement ciselé et de nature extrêmement variée (rochers, galets, sable, vase ; falaises, cordons, marais, criques, plages, etc.).
La priorité était de récupérer au plus vite le maximum de pétrole de façon à limiter sa persistance sur place ainsi que son étalement et extension vers d’autres zones. Combien de matins désolants avons-nous vécus, dépités, devant le spectacle de nappes qui, comme par enchantement, ressuscitaient, toujours renouvelées. On retrouvait ainsi un estran identique à la veille, malgré un nettoyage poussé, mené avec force d’efforts et de volonté ! Il fallait alors recommencer, encore mieux faire, tout en pataugeant et glissant dans le magma collant et pénétrant !
Il fallait alors imaginer et improviser avec des moyens locaux des dispositifs destinés à contenir et concentrer le pétrole à même le substrat : rigoles et trous, levées de sable et planches, etc. Là où l’accès motorisé était possible, les engins de Travaux Publics (niveleuses, chargeurs, bulldozers, camions…) et de pompage (tonnes à lisier, hydro cureurs…) entraient en action. L’enjeu opérationnel majeur a consisté dès le début des chantiers à faire intervenir, autant que faire se peut, ces véhicules de manière optimale, en s’adaptant à la configuration des lieux tout en facilitant la logistique avec les chauffeurs et le personnel mobilisé et assurant la montée en puissance des moyens en place.
Toutes ces opérations devaient gagner en rendement auprès des équipes d’intervention grâce à l’expérience acquise sur le tas, au fil des jours. Ainsi, une bonne part de mes actions d’encadrement a visé à former les personnels (de l’Equipement en majorité, sinon de bénévoles) engagés dans ces tâches inhabituelles et à favoriser de meilleures conditions de travail, particulièrement difficiles et délicates (risques sur la santé, sécurité…).
Deux autres préoccupations ont très vite surgi au vu des quantités importantes et toujours croissantes de produits pétroliers prélevés (considérés dès lors comme des déchets) et pour lesquelles des réponses étaient attendues sur le champ. J’ai donc contribué à la recherche de solutions :
- d’une part, au-delà du rendement, la qualité du travail de collecte est devenue cruciale pour faire en sorte de prélever le moins possible de matériau naturel (sable, galets) avec le pétrole et ainsi de minimiser l’impact (déjà fort) sur le milieu. Des méthodes plus sélectives, plus « soft », ont dû être imaginées au niveau du pompage (par décantation, écrémage dans des lieux appropriés) et du ramassage (raclettes, andains) à même le substrat. Du coup, l’intervention purement mécanique s’est vue interdite en certains secteurs considérés comme particulièrement sensibles (plages de sable fin, rives ou fonds d’estuaires vaseux…), sinon ralentie ou utilisée en prenant davantage de précautions.
- d’autre part, la question du devenir des déchets produits, une fois retirés de l’estran, est très vite devenue critique. En effet, que faire dans l’urgence de ces importantes quantités de matériaux pollués (liquides, pâteux et solides, selon la teneur en pétrole) et quel devenir leur réserver ? Avant que des techniques d’élimination finale soient trouvées et appliquées (ce qui a demandé du temps pour les expérimenter et valider), la solution du stockage intermédiaire en arrière côte est apparue inévitable malgré les inconvénients qu’elle présentait en terme de dégradation du paysage, de fragilisation des sols (chemins de roulement) et des systèmes dunaires (hauts de plages ou de grèves) et de contamination de surface ou en profondeur.
J’ai ainsi œuvré sur le terrain durant plusieurs semaines en apprenant beaucoup sur le plan aussi bien technique qu’opérationnel et surtout en capitalisant les acquis, jour après jour. Quotidiennement, après avoir arpenté la côte, je me rendais aux réunions du PC POLMAR avancé de Tréguier pour rendre compte du travail mené sur les différents chantiers afin d’en tirer tous les enseignements utiles et transférables sans délai sur le terrain. Des fiches techniques et notes de synthèse étaient ainsi régulièrement produites à l’attention directe des chefs d’équipes coordonnant les chantiers et diffusées au niveau du PC départemental (Préfecture) des Côtes du Nord ainsi que du Finistère.
Au mois de juillet 1978, nous quittions Tréguier, l’unité d’élevage Stählermatic étant définitivement arrêtée. D’autres missions m’attendaient sur Brest pour répondre aux énormes besoins d’ingénierie soulevés par la réparation des dégâts occasionnés par la pollution de l’Amoco-Cadiz. En l’occurrence, une très grosse problématique se développait au niveau du traitement des déchets solides qui s’accumulaient par dizaines de milliers de tonnes sur les terre-pleins du port de commerce.
Mais ceci est une autre histoire dont il pourra être question dans un autre épisode, notamment, avec ma mise à disposition au CEDRE, dès sa création (décision du 5 juillet 1978 et association le 25 janvier 1979).