Yves Antoine nous fait partager deux histoires vécues dans les années soixante dix, histoires qui peuvent nous surprendre comme elles ont surpris les protagonistes. Elles correspondent à une période de relations particulières avec certains pays d’Afrique et leurs dirigeants. Elles témoignent d’une façon de faire profiter les représentants français d’une certaine magnificence en échange de leur contribution dans le domaine économique (les transports dans le cas présent).
Au début des années 1970, l’Éthiopie vivait encore sous la férule du roi des rois, l’empereur Hailé Sélassié, et n’avait pas beaucoup dépassé le niveau du Moyen Âge. S’y rendre au départ de Djibouti était relativement facile car limitrophe, mais par la route, cela nécessitait un véhicule tous terrains sérieux. Par avion, Ethiopian Airlines et Air Djibouti se partageaient les lignes vers Addis et Diredawa, mais il y avait aussi quelques charters vers Lalibella, Gondar et autres lieux.
L’occasion nous fut donnée de voyager en Éthiopie une première fois lorsque, décidés d’ouvrir une escale à Addis Abeba, il nous incombait d’aller sur place pour vérifier la faisabilité et d’enquêter sur les facilités offertes à l’aéroport et en ville, mais aussi de récolter les données techniques nécessaires à l’assistance de nos vols pendant le temps d’escale. Les vols étaient assurés par des Boeing 707.
C’est donc en compagnie de mon épouse que nous nous sommes rendus à Addis, nous avions rendez-vous à l’hôtel Hilton, le seul hôtel correct à cette époque. Quelle ne fut pas notre surprise d’y retrouver dans le hall une amie de Djibouti : cette amie franco italienne, née en Éthiopie, y avait vécu une bonne partie de sa jeunesse et entretenait des relations quasi familiales avec le petit-fils de l’Empereur qui avait fréquenté la même école pendant son enfance, et avec lequel elle avait conservé des relations régulières.
– Vous êtes ici pour quelques jours? Nous dit-elle
– Oui deux jours seulement.
– Que faites-vous ce soir ?
– Rien de spécial,
– Venez avec nous (elle et son époux étaient médecins à Djibouti), nous fêtons l’anniversaire du petit-fils de l’Empereur, il ne sera pas là pour des raisons que je vous donnerai plus tard, mais nous aurons une excellente soirée !
– ….???
– Mais si venez donc, ça nous fera plaisir !
Rendez-vous est donc pris dans le hall, pour que nous puissions nous rendre tous ensemble sur les lieux de la fiesta. Mais il faut dire qu’à partir du coucher du soleil, circuler en groupe et en taxis était des plus recommandé. Jamais à pied, toujours en taxi ! Et se faire déposer à la porte du lieu où l’on se rend, sous peine de se faire détrousser avec la plus grande violence …
Arrivés au restaurant, nous sommes accueillis par le patron qui avait réservé une salle spéciale pour nos amis et ses invités. En fait il y avait table ouverte, on buvait et mangeait à discrétion, et cela sans avoir l’air d’inquiéter le moins du monde ni notre restaurateur ni nos amis ! Un spectacle privé nous attendait, un groupe Kényan avec orchestre de jazz, chantant du gospel en imitant Louis Armstrong, comme de ma vie je ne l’ai entendu imité !
Tard dans la nuit, lorsqu’il fut temps de rentrer, notre amie alla voir le restaurateur, et …signa la note. Nous étions tous les invités du petit-fils de l’Empereur, qui ne pouvait être des nôtres, le protocole impérial n’autorisant pas ce genre d’incartades. Il avait donc donné délégation à son amie d’enfance !
Dans le taxi qui nous ramenait à l’hôtel Hilton, je ne pouvais m’empêcher de repenser à cette soirée surréaliste, où, dans un pays moyenâgeux, à 2000 mètres d’altitude, nous avions mangé et bu (beaucoup) en écoutant Louis Armstrong, aux frais du roi des rois, maître absolu de ce pays…
Le retour à Djibouti se fit d’ailleurs dans d’étranges conditions. Nos amis, qui rentraient par le même vol que nous, nous avaient imposé leur mode de transport, prétextant que cela irait beaucoup plus vite et était moins contraignant. Effectivement à une heure fixée la veille au soir, deux Mercedes noires nous attendaient à la sortie de l’hôtel, elles nous conduisirent directement au pied de la passerelle et sans aucune formalité ni quoi que ce soit. Le commandant de bord n’en croyait pas ses yeux ! Mais heureusement Djibouti est petit et nous nous connaissions tous, nous en fûmes quitte pour un bon drink d’accueil à bord !
Pour ceux qui souhaitent en savoir plus sur les relations France – Éthiopie dans ces années-là et même avant, voici un lien intéressant issu du Centre français des études éthiopiennes (agm) :
CFEE – relations France – Éthiopie
Voyage suivant : Surprenante Éthiopie – 2e épisode