Chaque fois que nous devons appareiller, nous arrivons au laboratoire avec nos sacs, du linge pour une semaine, du papier toilette et toute notre bonne volonté, mais chaque fois nous apprenons qu’il faut retarder l’embarquement. Les raisons sont variées, depuis l’absence de batterie de cuisine (voir un précédent épisode) jusqu’au véto de l’Administration pour une obscure raison, que je raconterai plus loin.
Cette fois, c’est le manque de piluliers pour les prélèvements biologiques qui nous contraint à rester à terre jusqu’à ce que la direction du service de la pêche, après une discussion animée, donne l’argent nécessaire à Yahyah, le factotum du labo, pour aller au souk acheter le nécessaire. On trouve de tout au souk, c’est bien connu, encore faut-il que le format des bocaux convienne au contenu qui leur est destiné : estomacs de merlu, otolithes de poissons variés, etc. il faut donc accompagner Yahyah pour s’assurer de la course.
Je décide de l’accompagner et nous sortons du labo pour traverser l’avenue qui en ce temps là nous séparait du souk et de ses multiples échoppes, qui caractérisent ce type de marché en Afrique du Nord.
Voilà que Yahyah me prend fermement la main et nous partons tranquillement mano a mano vers le souk. Je suis rouge de confusion à l’idée qu’on me voie ainsi. Pourtant, je sais maintenant que c’est une marque d’amitié, et c’est ce que me signifie Yahyah, homme délicieux, dévoué et toujours prêt à rendre service. Déjà nous avions vu les policiers patrouiller la main dans la main, voire se tenant par le petit doigt mais ça nous avait fait ricaner, nous les occidentaux ignorants des signes d’une culture qui n’est pas la nôtre.
Je me fais vite à ce comportement, et nous traînons dans le souk où Yahyah profite de cette occasion pour faire quelques courses à son compte. Il n’y a que des mâles derrière les comptoirs, y compris dans le coin de la lingerie féminine, où je vois un homme hésiter devant deux soutien-gorge aux immenses bonnets, les mettre successivement sur sa poitrine, puis en choisir un (le rose), le confier au marchand qui l’emballe et rend la monnaie. Pas une femme dans la boutique, ni du côté vendeur ni du côté clientèle. Je me dis en moi-même que si le soutien-gorge ne va pas à sa compagne, le gars va se faire vertement tancer… C’est le risque quand on délègue ce genre d’affaire !
Nous trouvons les bocaux et piluliers qui conviennent dans trois boutiques différentes, mais toutes proches les unes des autres, car c’est l’avantage d’un souk où les échoppes sont regroupées par spécialité. Yahyah a acheté des ampoules électriques et des piles pour son usage et sa maison, et nous pouvons rentrer, toujours main dans la main, car nous n’avons pas eu à nous charger de colis : les boutiques nous livreront au labo cet après-midi inch Allah !
Il était temps que je lise cet épisode de « Yahyah et Loïc font du shopping dans le souk de Tripoli ». Une autre époque !