C’est un jour d’octobre 1973 comme les autres, après le Ramadan. Jean-François* est un éléphant dans un magasin de porcelaine. Il n’a aucun tact, et ce déjeuner au carré du El Muktashef va encore dériver vers ses blagues et remarques douteuses envers les mœurs et coutumes du pays où nous vivons, la Libye, et de ses voisins Arabes.
Cette fois-ci il veut se moquer, gentiment bien-sûr, mais lourdement, de la façon qu’ont les Musulmans après un repas de faire suivre un léger et discret rot de « Alhamdulillah », soit « je rends grâce à Dieu », sous-entendu pour ce bon repas que m’ont offert mes hôtes.
Ce jour là nous sommes à table avec le capitaine Korchinski, un Polonais irascible et bougon connaissant quelques mots d’anglais, son chef mécanicien Bilinka, Polonais catholique et disert (mais de préférence en italien comme le pape Paul VI, son idole), le second capitaine Salah, marin Egyptien qui a fait ses classes sur les chalutiers soviétiques et qui parle russe avec les deux Polonais, Sherif, notre collègue Egyptien, biologiste de l’université d’Alexandrie, Jean-François et moi-même, les deux Français du bord. La conversation s’établit en anglais, seule langue où nous pouvons approcher d’un échange un peu différent de celui du travail où il faut souvent user successivement de six langues pour se faire comprendre (on en a parlé dans un autre chapitre).
Le repas s’achève, et notre ami pose la question à Sherif « Hey, Sherif, what do you say in arabic when you make… » et là Jean-François émet un puissant rot, puis regarde Shérif avec un air rigolard. Mais Sherif répond : « Oh, we say sorry ! ». Jean-François qui n’est pas idiot, se rend compte alors de sa bêtise, rougit jusqu’aux cheveux puis, pour détourner l’attention, appelle Khalifa le cuisinier Tunisien, qui parle un peu français, et lui demande d’apporter le café. Shérif, conscient de la gêne de Jean-François et charitable comme à son habitude, rattrape la conversation en expliquant les coutumes comme celle-ci, ou celle qui consiste à se toucher la poitrine après qu’on a serré la main de son collègue ou de son ami, et d’autres encore. Heureusement que nous avons Sherif dans l’équipe, c’est lui qui fait notre éducation d’expatriés et qui nous ouvre les yeux sur ce que peut être la vie quotidienne en pays lointain !
* le prénom a été modifié
Bonjour Loïc,
Ces anecdotes vécues à la mer sont … savoureuses, si j’ose dire, merci de les faire partager !
Par contre, tu n’aurais pas un exemple de menu offert sur ce type de navire, scientifique et étranger ?
Bien à toi.
Pas de menu hélas, sinon ils auraient été en polonais, langue du Tonton. Pas en arabe car le cuistot ne savait pas écrire !
Je raconterai plus tard les oeufs au plat de ce cuistot !