Campagne sur le N/O Capricorne

Trois anciens se souviennent ….. c’était en 1976 …. au large de Toulon …. curieuse campagne sur le N/O Capricorne (Michel Lehaitre (MLH), Jacques Legrand (JLG), Annick Vangriesheim (AV) )

Le récit de Philippe Saget sur ses campagnes effectuées sur le Coriolis nous a remis en mémoire celle que nous avons effectuée ensemble sur le Capricorne. Les souvenirs lointains et épars de chacun d’entre nous permettent d’en faire un récit à peu près fidèle.

« En 1971, le Centre National pour l’Exploitation des Océans (CNEXO) de France mit à la disposition du CRO (Orstom) un navire de recherches de 46,50 m, le N.O. Capricorne spécialement construit et aménagé pour l’étude de l’Atlantique tropical selon les techniques les plus modernes, faisant intervenir en particulier la télémesure, les mesures automatiques et le traitement informatique en temps réel des informations reçues. »

N/O Capricorne

N/O Capricorne

Ce bateau commandé par le Cdt Verdier pour cette campagne était donc rarement près de nos côtes. Les hommes d’équipage étaient des africains.

Pour nous, il s’agissait d’une campagne en méditerranée qui comportait deux volets bien différents.

Le premier, et le principal, concernait la calibration d’un radar à vagues de la Météo Nationale situé à terre à «La Londe» près de Toulon et l’imagerie aérienne pour la détection de nappes d’hydrocarbures. C’était le volet auquel se rattachait la manip d’Annick :

« A l’époque, je faisais partie d’une « équipe opérationnelle » du Thème 5 (= interactions océan-atmosphère) dirigé par M. Vitureau. Cette équipe de 3 était composée de 2 stratifs à Paris faisant la chasse aux contrats, Michel Houdart et Yves Tréglos, et moi à Brest pour les manip de terrain. J’étais appelée du jour au lendemain pour une manip en collaboration avec truc ou machin, où le CNEXO intervenait un peu comme un prestataire. Je n’avais aucun matériel, je devais tout « emprunter » dans les équipes du COB (qui n’étaient guère ravies de me prêter du matos au pied levé). 

C’est ainsi que je me suis retrouvée à mettre en œuvre une bouée Data Well (DW) dans le cadre d’une manip de l’IFP, dirigée par M. Fontanel, qui consistait à balancer du fuel par dessus bord pour simuler un déversement accidentel et à vérifier comment le radar à vagues installé à La Londe (près de Toulon) le détectait. La DW servait à déterminer les conditions de houle. Il y avait aussi un courantomètre. Un avion passait faire des photos, mais ça c’était le boulot de l’IFP.

Il y a eu une 1ère campagne Polumer I début novembre 76 sur un bateau de location l’Océone, puis cette campagne Polumer II en novembre 76 sur le Capricorne avec une équipe TDI qui profitait de cette sortie en mer pour faire sa manip. »

Le deuxième volet portait donc sur le test d’un câble porteur anti-giratoire pour les futures campagnes « Nodules ». Ce câble bon marché était entre autre destiné à la mise en œuvre de l’engin de prise de vue et micro-bathymétrie près du fond appelé RAIE.

Notre chef de mission était Jean Jarry. Nous (MLH et JLG) étions accompagnés pour cette manip par Jean-Pierre Hue, Albert Deuff et Jacques Kerdoncuff.

On a fait les manips de câble au tout début, ce qui arrangea bien Annick qui pendant ce temps s’amarinait doucement au fond de sa bannette, fort étroite (mais au moins, ça calait bien).

On ne peut relater dans les détails l’importance de cette campagne qui n’a pas laissé de traces mémorables mais plutôt rapporter des images qu’on n’imaginerait plus de nos jours.

Cette campagne « Polumer » se déroulait au départ de Toulon en novembre /décembre 1976. A cette époque la BOM (Base Océanologique de Méditerranée) se situait dans un mas provençal très champêtre à La Garde. La partie marine était localisée sur le port de Toulon près des  « ferries ». Nous étions bien loin des commodités actuelles du centre de Brégaillon (mais plus près du vieux Toulon). A ce sujet, je (MLH) me souviens du chargement du câble sur le treuil, les machines à dévider motorisées n’existaient pas encore. Le touret était donc placé sur trépieds sur le quai. Plusieurs poulies de renvoi étaient utilisées pour aligner le câble dans l’axe du treuil. Le plus surprenant était sans aucun doute le système de freinage pour maintenir une tension minimum pendant l’enroulement sur le treuil. Deux membres africains de l’équipage du navire se tenaient debout sur deux planches de bois coincées sous les flasques du touret. Mais, les secousses et vibrations les faisaient sauter et lorsque les planches se déboîtaient il fallait reprendre tout le chemin de câble. L’opération était interminable et la mauvaise qualité du chargement, notamment du « trancannage » a sûrement été à l’origine des coques constatées lors des premiers essais du câble. Ce désastre provoqué par un chargement très rustique du câble et un manque d’équipements adaptés ont très rapidement condamné ces essais sur le Capricorne. Nous avons pu bénéficier de quelques jours du N/O Le Suroît à partir de Marseille pour poursuivre nos essais, mais sans plus de succès tant la météo était mauvaise. Je découvrais pour la première fois ce que signifiait le terme « être à la cape », même le long des côtes Corse ce n’était pas que du plaisir.

Les conditions de mer étaient donc particulièrement mauvaises (creux de 3m60 disait la bouée Data Well) les conditions de vie à bord très difficiles pour de multiples raisons. Outre les mouvements souvent brusques que beaucoup d’entre nous ont connus sur des petits bateaux, nous avions aussi le plaisir des odeurs exotiques de la cuisine africaine qui remontait du fond de cale. Dans le même registre, je me souviens aussi des odeurs de la table EDO qui embaumait (les stylets brulant le papier) généreusement le PC lorsqu’on était à la recherche du signal « Pinger ».

A l’extérieur ce n’était pas plus agréable car nous étions tenus de larguer des barils de gas-oil pour simuler un déversement accidentel avant les passages de l’avion photographe.

Voici un petit extrait d’un cahier de manip à la mer (AV), d’une valeur inestimable (bientôt 40 ans et toujours lisible) :

Cahier-quart

Cahier-quart

On se souvient aussi qu’une personne (chercheuse ? de l’IFP?) monopolisait le labo et faisait les tops horaires sur les enregistreurs « papier » de la houle dont la plume oscillait au même rythme que notre estomac. Seule particularité, elle fumait la pipe assise en tailleur sur le sol.

Au bout de trois jours, on annonçait force 9 à 10. Retour au port et stand-by météo jusqu’à déclarer la fin de la campagne.

Pour finir, les données de la bouée et du radar à vagues n’avaient pas été exploitables car la nappe n’était jamais à l’endroit où on la cherchait à cause du vent et du courant. Du fuel à l’eau pour rien ! J’avais honte et ne m’en suis pas vantée auprès des copains (AV).

Enfin pour compléter cet album d’images, il en est une qui, me semble-t-il, a totalement disparu de la flotte océano : la présence d’un chien à bord. Le Capricorne et le Charcot qui possédaient un pont en bois pouvaient embarquer « une mascotte canine ». Capri était le nom de la chienne du premier, fidèle compagnon d’un jeune lieutenant bien connu Paul-Yves Guilcher. Black était celui du Charcot et beaucoup se souviennent de lui lorsqu’il aboyait et courrait après les vagues. Il était le premier à terre bien avant les marins et les scientifiques. Sur le N/O Le Noroit, nous avons eu aussi un chien jaune Marquise provenant des iles du même nom.

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3 réponses à Campagne sur le N/O Capricorne

  1. ma276698-ovh dit :

    Merci, tout devient clair… et le mot est maintenant corrigé

  2. Anne-Geneviève Martin dit :

    Intéressant et vivant, ce récit qui montre bien les aléas de la recherche. Merci…
    « L’opération était interminable et la mauvaise qualité du chargement, notamment du tranchage a sûrement été à l’origine des coques constatées lors des premiers essais du câble. »
    Cette phrase est un peu sibylline pour moi…

    • Michel Lehaitre dit :

      Il y a effectivement une faute de frappe. Il faut lire « trancannage » et non « tranchage ». Ce terme traduit la façon dont on enroule un câble sur un treuil pour obtenir une bonne répartition de celui-ci sur le tambour en assurant le positionnement jointif des spires sur chaque couche enroulée.
      Si cette opération n’est pas maitrisée on risque de voir apparaître des « coques » sur le câble. Pour décrire ce phénomène il faut savoir qu’un câble est constitué d’un, voire plusieurs torons de brins d’acier. L’enroulement sur le treuil est normalement prévu sur un diamètre qui ne doit pas déformer sa structure radiale sur toute sa longueur (quelques milliers de mètres). Lorsque le trancannage n’est pas maitrisé, il arrive que des spires se chevauchent provoquant un écrasement local du câble. Il y a alors une rupture de la régularité du toron, et apparition d’un ou plusieurs brins extérieurs étirés ou même cassés qu’on appelle « coques. » Les caractéristiques mécaniques du câble ne sont plus garanties pour des utilisations en grande profondeur devant supporter des tractions de plusieurs dizaines de tonnes selon les états de mer.
      J’espère que ces précisions seront utiles à une compréhension d’un problème qui ne doit plus exister de nos jours grâce à des matériels plus performants

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