Cette histoire vécue vous est racontée en trois épisodes. Voici le premier. Les deux autres seront publiés dans le courant des deux semaines à venir. Joyeuse lecture.
1) Une mission dépaysante
Quand on est un étudiant de 22 ans, on se verrait bien partir pour des contrées lointaines. Tahiti fait rêver. Mon père, retraité bien jeune à 55 ans en tant que marin de commerce, avait « fait » la ligne Marseille-Sidney sur les paquebots mixtes des Messageries Maritimes, et mes yeux étaient remplis des images de films 8 mm (même pas encore le « super 8 ») qu’il avait rapportés de ses voyages à la fin des années 1950. La mer, la houle du large, puis les escales : Funchal, Martinique et Guadeloupe, Panama, les Marquises, et Tahiti enfin. Curieusement il n’a jamais filmé au-delà de cette escale merveilleuse, où je me rappelle voir les images de la foule sur le quai et une vahiné tomber à l’eau au moment où Le Tahitien va accoster en pleine ville…
Bref, quand notre professeur Émile Postel, de l’université de Rennes, demande en juin 1971 à ses étudiants qui serait prêt à partir trois mois en Polynésie pour un remplacement dans une mission pour le Muséum, je réagis par réflexe et lève le bras, je me demande d’ailleurs si je n’ai pas levé les deux bras ! Mais j’étais le seul volontaire, pas besoin de concourir. Il fallait juste parier sur la non reconduite d’examens en septembre. Il s’agissait tout simplement de créer une antenne du Muséum national à Moorea, sous l’égide de l’École Pratique des Hautes Études (EPHE) et sous la direction du Pr Bernard Salvat, bien connu déjà du milieu des sciences marines tropicales.
Je n’avais jamais touché une quelconque bestiole de la région, sauf sans doute les colliers de coquillages que rapportait mon père, jamais pris l’avion et jamais séjourné au-delà de Marseille, ma ville natale. Tout était nouveau, pour le bleu que j’étais. Je devais donc commencer par une semaine de formation (le mot est fort) dans les greniers poussiéreux de la rue Cuvier à l’antenne du MNHN où se trouvaient les vénérables collections de coquillages du Muséum, prendre l’avion muni des billets que nous confierait Bernard Salvat à Orly-Sud (l’ouest n’existait pas encore, encore moins Roissy-CdG) et partir pour 19h de vol via Los Angeles. Ce périple n’a pas changé, même si les Boeing 707 d’Air France et les DC8 d’UTA ont été remplacés par des jets plus modernes, et la durée reste la même.
Une équipe s’était constituée et nous étions quatre sur le départ : René, vétérinaire de formation et volontaire pour une aventure qui le sortait du cabinet véto paternel où il exerçait depuis peu, son épouse Marie-Claire qui ne voulait pas rester seule et à qui Salvat avait tout bonnement promis une formation scientifique (elle était coiffeuse), moi-même, étudiant rennais, et un seul vrai scientifique, Georges Richard, spécialiste mondial des cônes marins, car c’est ainsi qu’il se présentait et c’était vrai, il nous le prouvera. Bernard Salvat, retenu à Paris, devait nous suivre trois jours plus tard.
On imagine mon émerveillement quand nous survolâmes le Groenland (le trajet reste le même de nos jours, selon le vent en altitude), la stupeur à l’arrivée à Los Angeles quand UTA nous annonce que l’avion n’est pas prêt et que nous dînerons et coucherons au Hyatt Hotel en attendant… Le luxe américain était réconfortant après la poussière des greniers de la rue Cuvier ! L’arrivée à Papeete-Faaa fut encore plus époustouflante : on sort de l’avion très tôt le matin, l’air est chaud et parfumé de frangipaniers, de tiaré et de multiples fragrances tropicales que ni René, ni Marie-Claire ni moi ne connaissions. Le choc était à la mesure du voyage, mais l’avion en avait bien diminué la durée : mon père mettait 45 jours pour arriver de Marseille par la voie maritime, et mon arrière grand-père avait mis 15 mois en 1855 pour la même destination, à la voile et via Le Cap et l’île Bourbon à bord de la Sybile, vaisseau de Napoléon III !
À peine arrivés, nous sommes convoyés par le conservateur du Musée Gauguin jusqu’au musée où nous devons loger quelques jours, et où nous devrons parfaire notre entraînement, nous avait dit Salvat, le temps que le faré[1] loué à Moorea pour être la fameuse « antenne du Muséum » soit libéré. Quand Salvat débarque trois jours plus tard, nous avons eu le temps de faire le tour du musée, où ne figure quasiment rien de Paul Gauguin (c’est trop cher pour le petit musée qu’il est toujours) mais où nous avons fait connaissance des tortues centenaires sans doute, et qui étaient encore là quand je suis revenu 12 ans plus tard…
Épisode 2 : Installation et premières découvertes…
[1] Faré (ce mot veut dire maison en langue tahitienne.)
Loïc, tu nous tiens en haleine …