2) Installation et premières découvertes
Salvat nous prend en main et nous dit « Bon, maintenant nous allons apprendre à plonger ! ». Il fallut gonfler le Zodiac tout neuf, charger deux blocs de plongée, porter le canot et son 25 ch à l’eau en marchant, pataugas aux pieds, dans 30 cm d’eau sur le corail du récif frangeant (encore de nouveaux mots) jusqu’au chenal creux de trois mètres de profondeur, où nous attendait une eau claire et délicieusement chaude (26 °C, frisquet pour la saison dite d’hiver et pour les Tahitiens). Hop-là, vite fait, chacun chausse palmes, masque et tuba, prend un bloc sur son dos et le Pr Salvat nous « apprend à plonger » : retirer le masque, faire quelques signes et voilà qui est fait, « vous savez plonger », nous dit-il, à René et moi, Marie-Claire fut dispensée. Georges qui se débrouillait très bien était parti vadrouiller dans le lagon avec masque et tuba, à la recherche de cônes, bien sûr.
Salvat, véritable oiseau migrateur, doit s’envoler pour une autre île (Nouméa, peut-être ?) et nous laisse charger le pick-up Peugeot 404 du matériel (Zodiac démonté, moteur de 25 ch, blocs, petit matériel, sacs plastique, formol etc.). Ordre nous est donné de rejoindre le faré Quesnot (prononcer Kéno) à Papetoaï, à l’ouest de la baie d’Opunohu. Nous prenons le ferry à Papeete, débarquons à Moorea et prenons la piste de soupe de corail [1] pour les 15 km qui nous séparent du faré, aucune route n’était alors bitumée sur l’île de Moorea.
Le faré Quesnot est une bâtisse perdue dans une ancienne cocoteraie, dont les murs de la salle de bain sont les plus solides [2] ; une moustiquaire protège les fenêtres et la porte d’entrée, les meubles sont sommaires mais il y a des lits en quantité suffisante, le frigo marche au gaz, nous avons la batterie de cuisine dans le pick-up et le groupe électrogène, un peu à part du faré, fonctionne et c’est tant mieux : nous aurons du courant pour le soir, la nuit vient vite sous les tropiques.
La routine s’installe et nous travaillons dur. Il s’agit de tendre une échelle de corde qui nous permet d’effectuer des cadrats d’un mètre carré depuis le bord de la côte (le fameux récif frangeant) jusqu’au récif barrière, côté lagon. Nous faisons le relevé faunistique de chaque mètre carré, corail compris. Heureusement Georges a déjà fait ce genre de boulot, il nous apprend tous les noms scientifiques, que nous retenons facilement car la jeune mémoire ne sature pas, bien au contraire. Nous faisions donc de l’écologie, à une époque où le mot n’était que scientifique et pas encore devenu une mode, voire un concept politique. Notre but était de faire cet inventaire en guise d’avant-projet de la construction d’un hôtel sur pilotis, projet qui fut en effet réalisé plus tard.
Dans cette routine, nous avions aussi établi un tour de rôle pour aller chercher le courrier à la boîte postale du Muséum à Papeete. Mais j’étais le plus souvent de corvée, car j’aimais bien, au contraire de mes collègues, prendre l’avion pour cette « mission ». J’étais passé du DC8 quadri-réacteurs au Twinn-Otter à huit places, petit bimoteur canadien à aile haute. Mais L’avion m’avait définitivement plu quelle qu’en soit la taille, et je me régalais du vol de dix minutes depuis la petite piste de Moorea, à l’époque en soupe de corail, jusqu’à celle internationale de Faaa. Je bichais tout particulièrement quand le pilote me proposait la place à côté de lui, celle du co-pilote, car j’étais parfois le seul passager !
Episode 1 : Comment j’ai rencontré Moitessier – 1971 Épisode 3 : La rencontre…
[1] La soupe de corail est le gravier de la Polynésie, fait de corail concassé. On supposait en 1971 que l’extraction de corail destiné à cette soupe était une des causes de ciguatera en Polynésie, bien que cette maladie soit connue depuis l’Antiquité.
[2] Lors du cyclone de 1983, seules les salles de bain des farés avaient résisté au vent.