Décès Yves SILLARD (5 janvier 1936 – 12 avril 2023), dernier PDG du CNEXO, premier PDG de l’IFREMER (Luc Drévès)


Lundi dernier 17 avril en soirée, j’ai reçu un mail de Jean JARRY m’informant « que Yves Sillard, premier PDG de l’IFREMER était décédé le 12 avril et que ses obsèques auront lieu demain 18 avril dans le Gard ».

Dès mardi matin, j’ai adressé un mail à François Houllier, actuel PDG de l’Ifremer lui demandant s’il était possible que l’ARIB soit destinatrice du témoignage de l’Ifremer. Simultanément, j’ai sollicité le témoignage de plusieurs d’entre nous.<br>La réponse dans la demie heure du PDG fut la suivante :

« Bonjour Luc,

Une information sur le décès de Yves SIllard et un hommage à sa carrière ont été postés sur Planète Ifremer. Nous sommes en train de préparer une communication externe commune avec le CNES et la DGA, pour saluer son action et sa mémoire. Je ne peux pas me déplacer pour ses obsèques mais nous avons fait envoyer une couronne de fleurs au nom de l’Ifremer.

Amicalement

François »

Réponse suivie de l’extrait de Planète Ifremer :

Ci-après, nous vous présentons vos premiers témoignages reçus :

Témoignage de Jean JARRY

Yves Sillard a été pour moi un grand patron, un grand chef qui savait déléguer en faisant confiance à ses subordonnés et je lui ai toujours su gré. En 1982, je rentrais de Washington où j’avais passé trois ans comme représentant du CNEXO, chargé entre autres choses, de renforcer et faciliter la coopération scientifique et technique entre les laboratoires océanographiques français et leurs homologues américains. Yves Sillard me confia alors la responsabilité du service « Intervention Sous-Marine ». A cette époque, de grands projets étaient en cours, notamment le sous-marin NAUTILE, capable de plonger à 6 000 mètres, encore en service aujourd’hui, et le sonar latéral remorqué SAR, capable de cartographier finement les fonds abyssaux. C’est dans le cadre des essais de ce sonar qu’en 1985 nous avons pu monter, avec l’Institut océanographique Woods Hole, une opération mixte consistant à tester et comparer nos différents systèmes de cartographie, et ce précisément au-dessus de la zone où était censée se trouver l’épave du célèbre paquebot Titanic, épave que plusieurs expéditions avaient déjà tenté, en vain, de retrouver. Malgré des risques techniques et politiques certains, Yves Sillard n’hésita pas à lancer le tout nouvel IFREMER dans l’aventure. Et ce fut le succès. En 1985, le SAR devint opérationnel, le Titanic fut retrouvé et l’IfREMER fit la une des médias.

Témoignage de Claude MARCHALOT

Yves Sillard était arrivé au CNEXO auréolé du prestige du CNES dont il venait de quitter la présidence. Après la fusion du CNEXO et de l’ISTPM donnant naissance à l’Ifremer, logiquement l’un de ses chantiers fut d’impulser l’Océanographie Spatiale dans l’Institut.

Dans les années 80, l’Agence Spatiale Européenne avait décidé la réalisation du premier satellite météo-océanographique Européen : ERS-1 (comme European Remote Sensing number 1). Ce satellite ambitionnait de réussir ce qu’avait fait de façon très éphémère son prédécesseur américain, le satellite Seasat. Lancé en juin 1978, il vit son fonctionnement interrompu au bout de 3 mois mais il avait cependant assuré une telle moisson de données que leur traitement n’était pas encore achevé quand ERS-1 était en préparation. Bâti sur une plateforme « SPOT », ERS1 était un monstre de technologies doté de plusieurs capteurs actifs (radars éclairant leur cible) : Radar Altimètre (RA), Scatteromètre vent (WS), Radar à synthèse d’ouverture (SAR)… dont les objectifs principaux étaient la mesure de la hauteur des océans par rapport au géoide (RA), la mesure de champs de vent en vitesse et direction (WS) et la production d’images haute résolution des océans ou, dans un mode de fonctionnement plus économe d’énergie, d’imagettes permettant de calculer le spectre de la houle.

Le traitement le plus complexe était le calcul de la hauteur altimétrique. De l’orbite prédite à la précision de quelques dizaines de mètres, puis calculée (précision de quelques mètres) il fallait aboutir à une précision du centimètre et ceci passait par une usine à gaz où les données devaient être d’abord corrigées de dérives instrumentales puis du contenu intégré de vapeur d’eau, de l’indice d’activité ionosphérique, etc… avant d’être confrontées à un modèle de potentiel calculé le long de la trace du satellite par nos collègues allemands !

C’est la présence d’Y Sillard à la tête de l’Ifremer qui permit à notre organisme d’être partie prenante de cette aventure technique et scientifique. Un petit groupe, sous la houlette de G Stanislas, fut chargé au sein d’Ifremer de définir les objectifs et les premiers contours techniques et scientifiques d’un futur centre d’archivage, ceci en liaison avec quelques collègues du CNES et de Météo France. Il fallait aussi défendre ces propositions auprès de l’Agence Spatiale Européenne et faire preuve de notre crédibilité à mener à bien le projet au long de nombreuses revues techniques et scientifiques. Ce fut la Phase A du projet CERSAT faite dans un contexte de coopération et de concurrence avec nos homologues européens que nous rencontrions à de nombreuses reprises.

Le résultat positif de cette première phase fut le financement accordé à l’Ifremer par l’ASE et la mise en place d’un projet tripartite (Ifremer-CNES-Météo France) dont Patrick Farcy assura la coordination quand je fus chargé de l’informatique. Il fallait tout prévoir : définir l’algorithmique des capteurs (responsabilité du CNES avec la participation de scientifiques Ifremer via sa filiale CREO), prévoir leur implémentation, définir l’architecture informatique du centre avec ses moyens de stockage et de traitement ainsi que la conception des logiciels, sans oublier la construction d’un bâtiment pour accueillir les ordinateurs, le stockage des données et le personnel. L’équipe informatique fut renforcée de Christine David, trop tôt disparue, puis de Laurent Dupont. Nous suivîmes des cours d’océanographie spatiale à Toulouse et lûmes avec intérêt la bible de quelques centaines de pages du CNES sur « La gestion des grands projets spatiaux » qui donne les meilleures façons de découper un projet en phases (A, B, C, D…) et de le lotir en tâches et sous-tâches… Et nous apprîmes encore plus au contact de nos collègues du CNES lors de nos échanges.

Yves Sillard a quitté l’Ifremer en 1988, trois ans avant le lancement d’ERS1 et la mise en route du CERSAT (1991). J’ai le souvenir vivace de sa participation à la commission des marchés où devait se décider le choix du prestataire à qui nous confierions la réalisation de l’infrastructure informatique. Notre Phase B (conception) avait abouti à la rédaction d’une documentation de quelques centaines de pages rassemblée en plusieurs gros classeurs. Le génie logiciel (ainsi que les normes de qualité) prenait alors son essor, des techniques étaient reconnues mais leur outillage était encore peu disponible. Et nos diagrammes de conception devaient être faits à la main ! Cette documentation était copieuse, elle fut validée par Yves Sillard qui tint à communiquer ses vives félicitations à la petite équipe projet. Nous avions réuni au salon rouge une demi-douzaine de prestataires potentiels pour la leur présenter et une short list de deux entreprises s’était dégagée à l’issue de l’Appel d’Offres : d’un côté un groupement d’industriels du spatial (Matra Espace-SEP) et de l’autre une grosse SSII (Cap gemini). C’était clairement le choix entre deux philosophies de sous-traitance différentes : les industriels, forts de l’expérience de leurs équipes d’ingénieurs, prévoyaient une partie de la réalisation à Toulouse au risque de nous dessaisir assez largement du projet tandis que le recours à une SSII généraliste faisait reposer sur notre équipe une plus grande responsabilité technique, avec l’avantage de capitaliser une culture spatiale et et des grands projets informatiques à l’Ifremer. Malgré les liens qu’il avait forcément dû tisser avec le milieu industriel, Yves Sillard fit confiance à l’équipe brestoise, suivit notre choix de la SSII et la réalisation du centre CERSAT commença.

Que ses proches reçoivent toute l’expression de notre sympathie dans cette épreuve.

Témoignage de Bruno BARNOUIN

La présidence d’Yves Sillard a fortement marqué l’Institut, parce qu’il a réussi la fusion avec l’ISTPM, mais aussi par sa personnalité franche, « carrée » dirons certains, sa volonté de mener une politique « industrielle » (avec plus d’échecs que de réussites), sa capacité à trancher vite, …et sa profonde humanité. Le peu de contacts personnels que j’ai eu avec lui m’ont laissé des impressions fortes, et des conseils précieux (quoique rarement exprimés en langage académique !!). Un souvenir en particulier : fin 83, je demande un RV -court-circuitant la hiérarchie- pour exposer mon projet d’année sabbatique. La loi venait d’être votée, c’était désormais un droit, mais personne ne le savait. J’amène avec moi ma lettre de démission au cas où il renâclerait. Dès la première minute, il prend la lettre, la déchire et la met au panier, puis, mâchonnant sa pipe, il m’interroge sur … le bateau, les enfants … à l’exclusion de tout autre sujet professionnel, et me congédie en me souhaitant bonne chance. Dès le lendemain, j’étais contacté par mon directeur et la DRH, quelque peu « surpris », qu’il avait chargé de s’accommoder au mieux de ma décision. Ce qu’ils firent efficacement, je dois le dire. Le lecteur comprendra que, par la suite, même si j’ai pu trouver certaines initiatives d’Y. Sillard un peu hasardeuses, je ne lui en ai jamais voulu!

Témoignage de Pierre COTTY

En 1982, je devais « finaliser » mon processus d’embauche au CNEXO par un entretien avec le PDG ; ce fut l’occasion pour moi de faire connaissance avec Yves Sillard, qui venait de prendre ses fonctions depuis 8 jours… Il me mit à l’aise et l’échange fut très cordial. Il était très intéressé par tout ce qui touche à l’ingénierie et la technologie, et les quelques rares contacts que j’ai eus avec lui le confirmèrent par la suite.

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