La conférence d’Alain Ménesguen du 15 octobre

Lors de la réunion de l’ARIB du jeudi 15 octobre 2020 à la Trinité-Plouzané, Alain Ménesguen (retraité d’Ifremer/Brest depuis tout juste 2 ans) a donné une conférence sur le sujet suivant :
« Marées vertes en Bretagne :
de l’étude scientifique aux aspects sociologiques »
.

Articulé en quatre parties, son exposé * a d’abord rappelé, photos à l’appui, ce qu’était cette manifestation quasi-spécifique à la Bretagne, qui se traduit par des proliférations et des échouages massifs d’algues vertes (genre Ulva) mais aussi parfois brunes (genre Pilayella) sur certaines plages ou vasières macrotidales ouvertes sur le large. Cette forme très littorale d’eutrophisation est apparue au début des années 70 en Bretagne, et se maintient depuis avec des fluctuations pluriannuelles, liées aux fluctuations des pluies et donc des débits fluviaux causées par l’Oscillation Nord-Atlantique (période de 6 à 7 ans). La putréfaction anaérobie des dépôts échoués en haut de plage produit de l’hydrogène sulfuré très concentré, qui s’est plusieurs fois avéré mortel pour des animaux sauvages ou domestiques (chiens, cheval), voire pour au moins trois hommes.

Dans la deuxième partie, ont été rappelés les principaux résultats produits par les scientifiques français durant les 40 ans écoulés. Peu fondés au début (simple phénomène d’arrachage au large, ou bien prolifération côtière causée par les apports accrus de phosphates d’origine urbaine), les mécanismes proposés furent enfin solidement étayés par des mesures de terrain, de laboratoire et des modélisations à partir de la fin des années 80, notamment grâce à l’intervention d’Ifremer. Finalement, les scientifiques s’accordent aujourd’hui sur l’explication de l’apparition de ces marées vertes à partir de 1970 par l’augmentation soudaine des apports azotés par les fleuves côtiers bretons en raison du lessivage des apports croissants d’engrais azotés organiques et minéraux sur les bassins versants investis par l’agriculture intensive. Les baies peu profondes et confinées par l’absence locale de dérive résiduelle de marée, autrefois vierges de prolifération en raison de la pauvreté naturelle de la mer côtière en azote minéral dissous, ont alors pu être le siège de prolifération, d’accumulation et de dépôt d’algues vertes très demandeuses d’azote, pouvant atteindre 20 000 tonnes de poids frais en baie de Saint-Brieuc. Alain Ménesguen s’est attaché à montrer combien l’Ifremer a toujours gardé le souci de fournir aux pouvoirs publics des réponses claires et opérationnelles aux questions posées, notamment en quantifiant le rôle respectif des divers fleuves côtiers et en fournissant une valeur-seuil de 10 mg/L de nitrate à ne pas dépasser dans les eaux fluviales en cause.

En troisième partie, ont été rappelées les principales actions de remédiation (ramassage, lutte contre les fuites d’azote vers les fleuves) menées par les pouvoirs publics depuis 40 ans, en insistant sur leur coût élevé (au total environ 1,5 milliard d’euros) comparativement à leur maigre résultat : même si les concentrations de nitrate ont baissé depuis 1995 dans les fleuves bretons, elles restent encore 10 à 20 fois plus élevées que les concentrations naturelles connues avant l’intensification de l’agriculture. Alain Ménesguen, membre du Comité Scientifique du premier Plan de Lutte contre les Algues Vertes (PLAV-1, de 2010 à 2015) a regretté que le second plan (PLAV-2, de 2017 à 2021) ne comporte plus de Comité Scientifique.

Enfin, en dernière partie, Alain Ménesguen a livré ses impressions sur diverses facettes sociologiques qu’il a pu aborder durant ses 30 ans de travail ou de veille sur ce phénomène de « marées vertes ». Face au monde agricole, du moins sa composante la plus attachée à l’agriculture intensive, qui a maintenu jusqu’aujourd’hui, un déni systématique du rôle majeur de l’azote agricole, et a cherché à transférer la responsabilité sur les rejets, pourtant très diminués, de phosphore d’origine urbaine, les pouvoirs publics (politiques et administration) ont été très frileux et ont souvent dépensé l’argent du contribuable dans des mesures peu efficaces et surtout non-coercitives, d’où le maintien des « marées vertes » 40 ans après leur apparition. Les scientifiques français eux-mêmes, hormis ceux d’Ifremer et du CEVA, ont régulièrement dédaigné l’étude de cette nuisance, préférant des sujets plus « fondamentaux » à des recherches appliquées avec obligation de recommandations opérationnelles. A l’autocensure de certains chercheurs s’est même rajoutée la censure imposée momentanément par des directions scientifiques, à l’occasion de l’Expertise Scientifique Collective (ESCo) sur l’eutrophisation en 2016-2017. Manque d’intérêt pour les applications concrètes de la science, peur des lobbies, manque de créativité tout court ? A cette atonie du monde scientifique s’oppose la vigueur sans cesse renouvelée de bénévoles de plusieurs associations (Halte aux marées vertes, Sauvegarde du Trégor, Eau et Rivières de Bretagne, France-Nature-Environnement…), le courage et la pugnacité de quelques journalistes d’investigation (par exemple Inès Léraud qui a vendu 75 000 exemplaires de sa bande dessinée «Algues vertes, l’histoire interdite » ) et aussi, parfois… la belle indépendance d’esprit et la rigoureuse déontologie scientifique de grands commis de l’Etat (Inspecteurs des ministères de l’Environnement ou de l’Agriculture) à qui le gouvernement a demandé un audit des controverses entretenues sur ce phénomène étonnant. En 2020, et pour sans doute longtemps encore, les « marées vertes » demeurent en Bretagne le révélateur des impuissances de notre société, qui par intérêt ou par peur, dénie les faits avérés et refuse les recommandations raisonnées issues du travail scientifique.

Alain Ménesguen a publié aux Editions QUAE l’ouvrage intitulé :

« Marées vertes, 40 clés pour comprendre »

Ci-dessous, les liens vers les articles ARIB déjà publiés sur le sujet et cités par Alain :

La liberte de la presse et le secteur de l’industrie agro alimentaire

Le prix de la bd bretonne vient d’être attribue – juin 2020

Marées vertes -tant de chemin reste a faire – Châteaulin – le télégramme – 16 mai 2018

Marées vertes le nitrate est le principal responsable/ – 26 avril 2018

Lannion Tregor « plan algues vertes de la Lieue de grève, ou est ta victoire ? » – 11 mai 2018

  • Merci Alain pour cette conférence et ce résumé très clair
Ce contenu a été publié dans Conférences. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

1 réponse à La conférence d’Alain Ménesguen du 15 octobre

  1. Pierre Chauchot dit :

    Merci pour ce résumé très explicite, qui expose bien le sujet en présentant l’ensemble de ses différentes problématiques.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.