Souvenir de Moscou 1975 – Yves Antoine

Le voyage présidentiel de Giscard d’Estaing

Une traversée de piste irresponsable a causé l’accident qui coûta la vie à Christophe de Margerie le 20 octobre 2014, le Pdg de Total, et à tout l’équipage de son avion privé. Cela me rappelle un épisode que j’ai vécu à Moscou.

En octobre 1975 le président Giscard d’Estaing fit un voyage officiel en URSS. Il utilisait pour son transport un DC8 [1] du Cotam [2] et, à Air-France, nous étions chargés de leur porter l’assistance opérationnelle et commerciale pour l’arrivée et le départ. Comme pour tous les voyages officiels de chefs d’État, les mouvements se faisaient à l’aéroport de Vnukovo [3]. Pendant tout le séjour du président, l’appareil resta stationné sur un parking réservé, surveillé et gardé par le KGB.

Le jour et l’heure du départ ayant été fixés, il nous appartenait de rejoindre l’équipage à un point précis sur l’aéroport de Vnukovo. Parvenir au fameux parking situé de l’autre coté des pistes nous fut très difficile car le jeune garde armé d’une kalachnikov nous fit bien comprendre que, malgré nos propousks [4] tous en règle, seul son officier pouvait l’autoriser à nous laisser passer. Finalement tout s’arrangea et il nous fallut commander rapidement les équipements nécessaires à la mise en route : les camions citernes pour faire les pleins et, bien sûr, le borpitania (commissariat) pour avitailler l’avion en nourritures diverses.

La mise en route du DC8 ne pouvait se faire, en principe, qu’avec l’aide d’un groupe à air dit APU [5] et d’un groupe électrique GPU [6] mais les avions soviétiques étant tous équipés de démarrage électrique [7], les APU étaient rares, surtout à Vnukovo. Toutefois les responsables d’Aeroflot nous assuraient qu’il y en avait au moins un en état de marche.DC8 dans les nuages - montage agm20

Pendant que tout ce petit monde s’affairait sous l’avion, les pilotes nous demandèrent de les accompagner aux services opérations pour récupérer le dossier météo, déposer le plan de vol et prendre connaissance des particularités éventuelles, et il y en avait beaucoup ! Une voiture de l’Aeroflot nous fut fournie avec un chauffeur et nous voilà partis sur les pistes. Comme elles étaient désertes, le chauffeur se crut autorisé à conduire à une vitesse plus qu’excessive. L’approche d’un croisement avec une piste de décollage aurait dû refroidir son ardeur mais bien au contraire et, comme un avion était en cours de décollage, il accéléra à fond et traversa la piste alors que l’avion roulait déjà à vive allure… Je vous laisse imaginer la tête de mes équipages militaires français !

Après le passage obligé dans tous les services, nous retournâmes à l’avion présidentiel sans émotions supplémentaires mais d’autres soucis nous attendaient. Pour se positionner au parking officiel, le DC8 devait rouler par ses propres moyens, il fallait donc mettre en route au moins le premier réacteur à l’aide des APU et GPU. Là bien sûr, les émotions recommencèrent : si l’APU fonctionnait correctement, il n’en fut pas de même pour le GPU qui rendit l’âme dès le premier essai. Me renseignant auprès du responsable, on me répondit qu’il n’y en avait pas d’autre, ce dont je fis prévenir les pilotes. Heureusement les avions de ce type, DC8 comme B707, étaient tous équipés de bouteilles d’air comprimé en secours, mais le pilote nous prévint : on ne peut faire qu’un seul démarrage … Tête du responsable soviétique qui se voyait déjà gagner un vol aller simple pour Iakoutsk [8]

Tout compte fait, le DC8 put se déplacer jusqu’au parking d’honneur, les bagages furent chargés – sans notre intervention car le KGB avait interdit au personnel d’Air-France d’approcher l’avion – les réacteurs furent mis en route et le DC8 avec le président et sa suite rentrèrent tranquillement à Paris.

[1] Le Douglas DC-8 est un avion de ligne quadriréacteur à fuselage étroit, moyen et long-courrier, produit entre 1958 et 1972 par la Douglas Aircraft Company, puis par McDonnell Douglas… C’est l’un des tout premiers avions de ligne à réaction et,avec son concurrent le Boeing 707, l’un des emblèmes de l’ère du jet. Il en reste deux unités en juillet 2019, exploitées en Afrique et en Amérique du Sud. (Wikipedia) – (montage photo agm – au-dessus des Alpes – DC8 Wikipedia de Steve Fitzgerald)

[2] Commandement du transport aérien militaire, dont dépendait à l’époque l’avion présidentiel.

[3] Aéroport situé dans le sud-ouest de Moscou.

[4] Autorisation spéciale, en russe : пропуск

[5] Auxiliary power unit. À présent tous les avions de ligne sont équipés de APU embarqués

[6] Ground power unit.

[7]Un progrès du communisme…

[8] Iakoutsk, Якутск en russe, la ville la plus froide du monde ! Staline y avait l’un de ses goulags. Elle est désormais connue pour son musée du Mammouth.

Voyage précédent : Mathilde la Banquière

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