Souvenirs d’Égypte – 1979 (1) – par Loïc Antoine

Nous étions en 1979, je crois, et en mission pour France-Aquaculture. J’avais remplacé Jean-Yves Le Gall, et j’intervenais en tant qu’expert pêche dans une équipe d’aquaculteurs : Bertrand Couteaux et Christian Dannioux. Nous avions parcouru la côte de la mer Rouge jusqu’à la frontière du Soudan dans l’espoir d’y trouver des sites potentiels d’élevage de poissons et de crevettes, et nous nous trouvions au Caire pour établir le rapport final. Encore fallait-il l’écrire ce rapport, et je me retrouvais seul pour ce faire (Bertrand et Christian étaient repartis pour Brest où le travail les attendait), avec les notes de mes deux collègues et celles de Jean-Yves. J’étais dans le bureau du service de la pêche, mais logé au Palais Magnal, ancien logis des apparatchiks soviétiques transformé en hôtel par Misr-travel1 car il ne fallait pas, à cette époque, dire Trigano (parce que juif) ni le Clubmed, parce que créé par un juif !

J’avais pris rendez-vous avec le directeur des Pêches pour une discussion sur les investissements potentiels de l’Égypte en matière d’aquaculture et de pêche et, pour m’y rendre, je prends un taxi collectif bien connu au Caire à cette époque (il en existe toujours je suppose). Le taxi me dépose devant l’immeuble, c’est au cinquième étage. Je me rends vers l’ascenseur et le chaouche (gardien) me dit : « out of order ». Qu’à cela ne tienne, je décide de m’y rendre à pied, après tout, ce matin de septembre il ne fait pas trop chaud, et le bureau du directeur des pêche sera climatisé…. Je demande où se trouve l’escalier, le gardien me l’indique et j’y vais le cœur tranquille… Je monte au premier étage, et là, surprise totale : l’escalier qui aurait dû continuer comme dans tout immeuble normalement constitué, n’existe pas ! Je parcours l’étage un peu ébranlé mais ne trouve pas de trace d’escalier : cet immeuble de la fonction publique cairote est certes parcouru de couloirs, mais pas d’escalier en vue !

Craignant d’arriver en retard à mon rendez-vous (la suite dira que je n’avais rien à craindre !) je redescend précipitamment, cours vers l’ascenseur, me précipite vers le chaouche et lui dis n’avoir pas trouvé la suite de l’escalier, ce qui n’a pas l’air de l’étonner. Il introduit alors un tournevis dans le système d’appel de l’ascenseur (il y avait 10 étages), trifouille en vain le niveau du cinquième, puis ouvre la porte de l’ascenseur, et … tire sur les câbles de la cabine, vous avez bien lu : il tire sur les câbles de la cabine ! et appelle « Hasma ya Mohamed ! ». L’ascenseur descend alors comme dans un mirage… le liftier, qui est le dénommé Mohamed, me dit « which floor ? » Je lui réponds en arabe, fort d’avoir appris à compter en Libye : « khamsa ». Et me voilà dans l’ascenseur, qui normalement ne fonctionnait pas, montant au cinquième tout penaud et craignant de rester coincé entre deux étages, voire pire car les défauts de fonctionnement m’apparaissaient clairement : lenteur, secouements, balancements hasardeux … Le temps de craindre le pire et me voilà arrivé au cinquième, finalement sans encombres. J’entre dans le bureau du directeur des Pêches dont j’avais repéré la plaque (je savais encore lire un peu l’arabe) et pénètre dans une pièce immense, où mon interlocuteur recevait plusieurs personnes à la fois. Toutes les conversations se déroulaient en arabe et j’étais le seul Européen de tous les hôtes du directeur ! Inutile de dire que l’attente fut longue, le temps que toutes les conversations s’achèvent mais l’entretien fut bref car le directeur n’avait pas vraiment envie de parler anglais. Deux ou trois questions et je repris l’ascenseur, dont la cabine était toujours là au cinquième. Il est probable que le personnel et les visiteurs avaient trouvé l’escalier, ou que miraculeusement l’ascenseur n’était plus en panne !

J’ai donc dû rédiger le rapport avec les maigres informations que j’avais tirées de mon interlocuteur, mais beaucoup plus encore de mes missions à Alexandrie puis à Suez. Ce rapport doit toujours exister dans des archives de ce qui est devenu l’Ifremer, fruit de la fusion de l’ISTPM et du CNEXO.

Comme me disait mon excellent collègue et ami Jean-Paul George, l’Égypte est régie par IBM : I comme Inch Allah, B comme Boukra (demain) et M comme Malesh (ça n’a pas d’importance) !

Encore un ramadan en mer

 


1Misr veut dire Égypte en arabe.

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