Ode à la libellule… Par Gilles Boeuf

Cette ode* est la « Préface de l’ouvrage de Thierry Marx », « La stratégie de la libellule », publié chez Cherche Midi en octobre 2018

ISBN 978-2-7491-5743-6

Un ouvrage de Thierry Marx qui nous parle de… libellule ! Bien insolite ? Finalement pas forcément ! Thierry est connu depuis longtemps comme étant un extraordinaire grand Chef, mais tellement singulier parmi tous les autres : il est beaucoup plus que « simplement » cela ! Il est aussi connu comme étant un fervent adepte des arts martiaux orientaux, surtout concernant leur spiritualité extraordinaire.Libelule déprimée mâle - Libellula depressa Il y a de cela 8 siècles, le code des guerriers japonais, concernant la pratique du sabre, mentionnait déjà l’intérêt de l’observation attentive du comportement d’un petit insecte extraordinaire, la libellule ! La force contre l’apparente « fragilité » ? Elle fait même souvent, dans certaines écoles japonaises de sabre, partie de leur « emblème totem », « tombo ». Effectivement la libellule sait tout faire, bien meilleure que le meilleur hélicoptère de combat, sauf une chose : revenir en arrière !! Et pourquoi cela ? Ses incroyables techniques de vol, 9 au total, font de cet insecte le champion de la liberté aérienne, et cela depuis le Carbonifère !!

Alors, regardons-y de plus près. La libellule est au départ, sous forme de larve, un insecte à métamorphose complète, qui se développe dans l’eau. C’est même l’un des plus redoutables prédateurs aquatiques, capable d’attaquer et de dévorer de petits poissons ! Son « masque » est impressionnant : de puissantes mandibules avec des créneaux préhensiles aiguisés, capables de se détendre et de saisir la proie. Elle fait un remarquable « alien de science fiction » ! Et, à la fin de sa vie aquatique, elle se nymphose, et se transforme radicalement (métamorphose) en un élégant insecte volant aux performances inimaginables. Aeschne bleue femelleOn trouve d’ailleurs parfois les « exuvies » (la cuirasse aquatique de la larve transformée) accrochées à un végétal aquatique et vide, ayant libéré l’adulte aérien. Elles passent ainsi de la vie aquatique à la vie aérienne, autre performance extraordinaire de notre libellule. Alors, à l’état « adulte » ? C’est une énumération de performances ahurissantes, un véritable festival ! Elle a des ailes championnes de la résistance et de la distorsion (tendons en résiline) lui permettant des mouvements incroyables qui font rêver n’importe quel pilote et lui permettent d’atteindre 80 km/h, elle vole durant des heures avec quelques milligrammes de « fuel », possède des capteurs de vol et des sondes de vitesse incroyablement performants, un corps aérodynamique avec un exosquelette très résistant pour un poids ridicule (chitine, calcaire et sclérotine), « encaisse » 30 G en accélération ! Elle supporte des fréquences jusqu’à 42 Hz et peut développer plus de 20 millions de battements d’aile par vie sans dommage, et pour finir, elle voit à 360 degrés et analyse 300 images par seconde !!! Cela existe ? Oui, la nature a inventé cela depuis le Carbonifère, il y a… 345 millions d ‘années…

Et que faisons-nous aujourd’hui ? L’humain, dans son imprévoyance, son arrogance, sa cupidité, les détruit !!! Assèchement de mares, pollutions des cours d’eau, destruction et empoisonnement de leurs habitats !! C’est non seulement éthiquement inacceptable mais nous nous privons en plus d’une fabuleuse source de compréhension de phénomènes et de mécanismes et d’inspiration venue de la plus belle des inventions du « système Terre », la vie !Calopterix virgo mâle

Aussi, puis-je comprendre la fascination des samouraïs au Japon, leur appropriation des performances de la libellule et l’incorporation dans leur code d’honneur et de combat du comportement de ce petit insecte odonate. Alors, pourquoi ne pas se saisir de cette opportunité pour profondément changer et enfin décider sérieusement de ré-harmoniser les relations entre l’humain et la nature ? Et, s’il y a un domaine dans lequel la biodiversité et les variations du climat sont essentielles c’est bien dans celui de l’alimentation ! Nous ne mangeons que du biologique et ne coopérons qu’avec du biologique ! Et ici Thierry troque son kimono pour sa toque ! Nous ne mangeons pas de libellules, et heureusement pour elles, mais elles peuvent considérablement nous inspirer. Comment dans cette quête d’harmonisation l’observation de la nature et des ses incroyables performances et durabilité, peut-elle nous aider ? Énormément ! Le vivant ne maximise pas, il optimise ! En permanence… Il ne produit jamais de déchets toxiques, il sait tous les traiter, il trouve toujours un « acheteur » qui les transforme et les recycle. Il fait tout à moindre coût d’énergie et est très parcimonieux, l’énergie essentielle étant la lumière du soleil. Et enfin, tout ceci est partagé et sert à tout le monde, on peut rêver et le vivant innove ainsi depuis près de 4 000 millions d’années ! Quand Thierry nous rappelle ici, en cuisine, et justement, une notion essentielle mais que nous avons totalement oubliée, la saisonnalité, c’est fondamental ! Comment retrouver le plaisir de se nourrir, sans aucun excès, en respectant les rythmes du vivant, et en systématiquement acceptant de payer plus pour la qualité ? Ceci relance le vrai débat sur l’innocuité des traitements sur les produits alimentaires, leur goût, leur qualité et leur contrôle, et enfin l’intérêt de consommer local. Et pour cela il faut une éducation, et dès le plus jeune âge !

Alors, la libellule dans tout cela ? Apprenons à la connaître, à la comprendre, à décortiquer ses mécanismes et ses performances, et surtout à la protéger pour la garder avec nous, surtout si nous voulons l’imiter, enfin à l’aimer ! Et, qu’elle soit prise comme symbole ou comme totem, voire comme modèle, implique pour la dignité de l’espèce humaine de la respecter !

Gilles Boeuf, professeur à Sorbonne Université, président du Conseil scientifique de l’Agence Française pour la biodiversité – Saint-Bertrand de Comminges, septembre 2018. Petite nymphe au corps de feu - Pyrrhosoma nymphula*Article publié avec l’aimable autorisation de son auteur – (libellules et demoiselles de mon jardin).

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